2016 chamboule le spectre: enjeux et conséquences de la redistribution des canaux UHF

Derrière la prochaine évolution annoncée de la télévision en France se cache un important dividende numérique ; il est en préparation et se concrétisera dès le mois d’avril prochain. Le dividende numérique est une vaste opération par laquelle des fréquences de transmission seront retirées à la télédiffusion pour être réaffectées aux télécommunications. Ce n’est pas la première fois, puisqu’un précédent exercice s’est opéré fin 2011 pour libérer de nombreux canaux de la bande des 800 mégahertz. La prochaine étape se consacre à la libération de la bande des 700 ; c’est un chamboulement historique du spectre des radio-télécommunications qui va impacter les activités de nombreux professionnels de l’audiovisuel. Qu’en est-il ? (1)
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Des canaux convoités par les télécommunications

Si le spectre est un domaine immatériel, il n’en est pas moins un domaine fini : il faut donc prioritairement libérer des fréquences pour pouvoir les réallouer à de nouveaux usages. Des acteurs traditionnels historiques du secteur de l’audiovisuel et de la télévision – gros consommateurs de fréquences de transmission sur les réseaux terrestres – vont devoir quitter les canaux qu’ils occupaient jusqu’alors pour faire de la place dans le spectre, entraînant dans leur sillage d’autres utilisateurs plus discrets. Les opérateurs de TV, via les canaux opérés par les opérateurs de télédiffusion, vont donc céder la place très convoitée de la bande de fréquence « des 700 MHz », ces fréquences dites « en or », aux opérateurs de téléphonie mobile.

L’organisme français de régulation du spectre, garant des bons usages sur les fréquences, est l’Arcep – l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. C’est lui qui s’est chargé de la vente aux enchères de ces fréquences pour les opérateurs français de téléphonie mobile (pour un montant total de 2,8 milliards d’euros auxquels s’ajouteront les 1 % des chiffres d’affaires annuels réalisés par chacun des quatre opérateurs). Ces fréquences sont la matière première stratégique des télécoms ; elles constituent l’enjeu essentiel du développement des services du futur. Orange et Free ont acquis chacun deux blocs de 5 MHz, tandis que SFR et Bouygues en emportent un chacun. Cette manœuvre s’inscrit dans un marché hautement concurrentiel où les géants d’industries rivalisent d’ingéniosité pour proposer des services innovants aux particuliers, mais aussi aux professionnels de l’audiovisuel.

 

La TV évolue en France

Dans l’environnement des systèmes d’information et de communication basés sur les technologies numériques les plus avancées, la télévision a su démontrer une capacité d’évolution étonnante. Elle est entrée dans l’ère digitale en mars 2005 quand le réseau national de télévision terrestre est devenu numérique, avec la TNT et l’adoption du standard international de compression vidéo numérique -2. À cette occasion, l’offre télévisuelle française s’est enrichie à plusieurs titres : avec un plus grand nombre de chaînes, avec des services d’information et de navigation (versions sonores, guide TV), et surtout avec une amélioration de la qualité des signaux audio et vidéo qui reposaient encore sur une définition standard des images (avec seulement 720 x 576 pixels).

Quelques années plus tard, des canaux de télévision payante par abonnement ont été lancés cette fois avec un autre standard plus efficace : le -4. Lorsque les quatre principales chaînes nationales (TF1, F2, M6, Arte) ont voulu proposer une meilleure qualité de leurs programmes en HDTV, c’est aussi en -4 que ces canaux HD en simulcast ont été déployés. Au fil des années et de l’évolution des réseaux, s’est constituée une topologie spectrale hybride, juxtaposant des canaux SD et HD, et des transmissions en Mpeg-2 et Mpeg-4. Cette distribution avait vocation à être unifiée, en tirant profit de l’évolution des technologies de codage numérique, et en libérant au passage une importante partie du spectre… avec l’objectif de la valoriser auprès des opérateurs de téléphonie mobile français : Bouygues, Free, Orange et SFR.

Dans la nuit du 4 au 5 avril 2016, les canaux actuels des chaînes en Mpeg-2 occupant les fréquences de la bande des 700 s’éteindront. Lors de cette « nuit bleue », les 25 chaînes gratuites de la nouvelle TNT renaîtront, mais harmonisées avec une qualité en haute définition et un codage optimisé en Mpeg-4. Ce seront huit multiplex (au lieu de six précédemment) qui transmettront désormais la nouvelle TNT-HD française. Cette migration express est un véritable challenge, mais c’est aussi un très gros chantier économique et technique. Le coût des opérations pour les diffuseurs a été évalué par le HD-Forum et se chiffre en millions d’euros. Et pour des millions de foyers français, une adaptation sera nécessaire pour continuer de regarder la télé à partir du mardi 5 avril. Depuis le mois de novembre, une campagne d’information nationale informe sur tous les médias (radio, TV, presse, web) et par courrier les foyers de l’évolution de la TNT, les incitant si nécessaire à adapter leurs équipements.

 

Les instances décisionnelles

La commission technique du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est chargée de coordonner l’édition de la nouvelle table de signalisation des services de télévision numérique pour le réseau terrestre. Des réunions rassemblant les responsables techniques des diffuseurs se sont tenues au siège du CSA pour assurer le dialogue nécessaire à l’élaboration de la NIT (Network Information Table) qui permettra aux téléviseurs de retrouver les services au lendemain de la nuit bleue.

La NIT est un tableau contenant les données techniques relatives à la réception et à la reconnaissance par les récepteurs des programmes transmis (SR et PID). La numérotation des chaînes étant devenue un enjeu important dans un contexte concurrentiel renforcé par le passage au tout HD, les représentants des 25 éditeurs TV ont été présents et actifs auprès des experts du CSA pour réussir cet exercice.

À l’échelle mondiale, en novembre 2015, s’est tenue la WRC-15 ; cette rencontre de la World Radiocommunication Conference est un rendez-vous décisif pour l’utilisation coordonnée des ondes à l’échelle internationale. La WRC est un événement initié tous les trois ou quatre ans par l’organisation internationale ITU (International Telecommunications Union) ; rappelons que l’ITU régule les usages du spectre radioélectrique pour 193 pays membres, dont la France, soit une part majoritaire des espaces sur les divers continents. À cette occasion, la WRC a passé en revue les nombreux segments du spectre qui sont légalement alloués à des usages divers (radio amateur, wi-fi domestique, téléphonie mobile, TNT, micros sans fil…). Dans ses conclusions, la WRC confirme sa volonté de réserver la bande des fréquences UHF de 470 à 694 MHz pour la télédiffusion ; ceci en dépit d’une avancée constante des télécommunications dans cette bande UHF, et au-delà dans les bandes L (1,427/1,518 GHz) et C (3,4/3,6 GHz).

 

Le retour de la syntonisation

Pour tous, la réception TV devra s’adapter au nouveau plan de fréquence du paysage télévisuel HD en Mpeg-4. L’Agence nationale des fréquences (ANFR) indique depuis plusieurs mois que : « Depuis décembre 2009, tous les téléviseurs dont l’écran est supérieur à 66 cm sont compatibles HD ; et depuis décembre 2012, tous les postes vendus sont compatibles HD ». Dans le doute, pour savoir si un téléviseur risque l’éventualité d’un écran noir, il existe une méthode simple et rapide : il suffit de sélectionner le canal de Arte – généralement en position 7 ou 57 – et de vérifier si les lettres HD sont affichées en haut de l’image. Si c’est le cas, le TV est Mpeg-4 et compatible… sinon, il ne passera pas l’étape attendue.

Pour les foyers équipés des téléviseurs récents, il suffira d’une simple « syntonisation » : ce réglage d’installation consiste à parcourir les fréquences UHF (scan) pour détecter et mémoriser les canaux des chaînes. Ce sera l’affaire de quelques minutes pour les uns… et d’une petite contrariété pour les autres.

Pour les récepteurs TV plus anciens (achetés avant 2009), le scénario est moins simple. En juin 2015, l’Agence nationale des fréquences annonçait que « 7 % des foyers français équipés d’une télévision étaient exclusivement dépendants de la norme Mpeg-2, soit environ 1,8 million de foyers ». Mais en considérant tous les postes de TV principaux et secondaires, c’est un total de 2,7 millions de foyers qui seraient concernés. Tous sont équipés uniquement de décodeur au standard Mpeg-2, et ne supportent pas le nouveau plan de diffusion. Pour ceux-là, l’achat et l’installation d’un adaptateur externe « décodeur HD Mpeg-4 » sera la solution. Une dépense d’équipement de l’ordre de 20 à 30 €, et une heure d’installation et de réglages pour les uns… et un souci dont se seraient bien passé les autres.

Le gouvernement prévoit une aide financière pour l’adaptation à la TVHD, avec une somme allouée pour l’achat d’environ 25 €, sous condition de ressource. Seuls les téléspectateurs dégrevés de la contribution à l’audiovisuel public (plus connue sous le nom de « redevance ») et qui reçoivent uniquement la télévision en mode hertzien pourront en bénéficier. Dès janvier 2016, une « assistance de proximité » sera proposée aux personnes âgées (plus de 70 ans) ou handicapées (taux d’incapacité d’au moins de 80 %), avec une intervention gratuite d’un technicien au domicile principal. Et en avril 2016 (après l’arrêt du Mpeg-2), une « aide à la réception » sera mise en place pour ceux qui ne captent plus correctement la TNT à cause des changements de fréquences. Une compensation financière pourra être attribuée pour réorienter l’antenne râteau TNT (environ 120 €), ou bien passer à un autre mode de réception en satellite, ADSL, fibre ou câble (environ 250 €).

 

Des fréquences aux enchères

Les opérateurs de téléphonie mobile ont toujours besoin de plus de fréquences pour déployer les réseaux nécessaires au trafic numérique d’aujourd’hui et de demain. Pour eux, la bande des 700 MHz sera utile à la 4G dans l’immédiat, mais il s’agit d’un investissement d’avenir.

Comme pour la bande des 800 MHz déjà exploitée en 4G, les « fréquences en or » des 700 MHz ont une meilleure portée que celles des 1 800 et 2 600 MHz, tout en garantissant une meilleure pénétration à l’intérieur des bâtiments. Des caractéristiques qui permettent aux opérateurs de couvrir plus rapidement et avec moins d’antennes une zone géographique en ville ou en campagne. L’installation de réseaux 4G sur la bande des 700 va permettre d’en accélérer le déploiement et d’assurer une meilleure couverture, ce qui permettra à plus d’utilisateurs de profiter d’une liaison plus rapide. De plus, avec la multiplication des fréquences en 4G, il devient plus facile de proposer des services en 4G+ : cette technologie agrège plusieurs bandes de fréquences et additionne les débits.

Une expérience Bouygues Telecom à Lyon a permis d’atteindre près de 300 Mb/s avec des bandes de 800, 1 800 et 2 600 MHz. Mais il faudra attendre au minimum plusieurs mois pour pouvoir profiter de la 4G sur les 700 MHz. Le territoire français est découpé en huit zones qui vont gérer la chronologie d’appropriation de la bande des 700 par les opérateurs. La région parisienne devrait bénéficier la première des nouveaux services dès le mois d’avril 2016. Dans les autres régions, il faudra attendre fin 2017 pour certaines, et jusqu’à l’été 2019 pour d’autres, moins chanceuses.

Les dernières informations sur le site web de référence : www.recevoirlatnt.fr

 

(1) Extrait de notre article paru en intégralité, pour la première fois, dans Mediakwest #15, pp52-54. Abonnez-vous à Mediakwest (5 n/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.