Canal Factory mise sur l’IP pour ses nouveaux plateaux à Boulogne

Canal Factory est le nouveau site de production du groupe Canal à Boulogne-Billancourt. Plusieurs émissions diffusées en direct sur Canal Plus et C8 y sont tournées quotidiennement. Lors du réaménagement complet des studios au cours de l’été 2016, la direction technique Edition a choisi une architecture mixte SDI et IP, basée sur des équipements Grass Valley et Cisco.*
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Le groupe Vivendi, maison-mère de Canal Plus a racheté en 2015 les studios de Boulogne situés rue de Silly, qui étaient exploités jusqu’alors par Euromedia. Le site a pris le nom de Canal Factory pour devenir le lieu de tournage des émissions de flux du groupe Canal Plus.

L’objectif de Vincent Bolloré, à la fois président du conseil de surveillance de Vivendi et de Canal Plus, est de réintégrer dans le groupe la production des émissions en direct, de manière à capitaliser en interne sur les compétences, et de créer dans le futur des synergies entre les émissions TV et les activités média de Vivendi et de sa filiale Universal dans le cadre du projet de l’île Seguin.

Ce rachat a été l’occasion d’une modernisation complète du site tant pour les équipements vidéo et audio que pour les aménagements tertiaires, et les servitudes techniques comme la climatisation et l’énergie.

En février 2016, la direction technique Édition du groupe Canal Plus a lancé une première consultation pour l’équipement de quatre plateaux et de quatre régies. Pour ce qui concerne le process audio et vidéo, elle laissait aux soumissionnaires le libre choix quant à la technologie proposée, SDI ou IP. Sur les six réponses reçues, quatre étaient basés sur de l’IP tandis que deux restaient fidèles au SDI.

Lors de ce premier « round », Pierre Maillat, responsable des études et de l’architecture à la direction technique Édition, constatait qu’au niveau financier les offres mixtes IP/SDI étaient d’un montant équivalent à leurs alternatives en tout SDI. Cela semble valable pour les installations de large capacité dans lesquelles les facteurs d’échelle permettent un gain favorable à l’IP alors que pour les plus petites, un système tout SDI resterait plus économique.

 

Un coût similaire entre les offres tout SDI et celles associant SDI et IP

La participation au NAB 2016 a permis aux équipes techniques de mieux cerner la maturité des technologies IP et de préciser les évolutions technologiques à prendre en compte dès l’origine du projet, à savoir le passage à l’UHD et l’émergence du HDR et du HFR, fort exigeants en termes de débits. Le second round de la consultation, limité à deux régies et quatre plateaux, a confirmé le réalisme d’une solution basée sur l’IP puisque les 6 offres étaient basées sur ce mode de transport.

L’offre retenue associe Videlio avec Grass Valley et Cisco. L’équipementier vidéo s’est engagé résolument dans la transition vers le transport des signaux vidéo en IP et un basculement du hardware dédié vers des solutions hybrides SDI/IP pour l’instant mais évoluant vers des architectures de type data center. Il a signé un partenariat avec Cisco, le spécialiste reconnu des réseaux, pour le déploiement des architectures IP dédiées au transport vidéo « live ». Videlio avait déjà collaboré avec les deux industriels pour la construction de trois régies mobiles pour le prestataire anglais Arena TV.

Pour les autres matériels, ce sont les marques EVS pour les ralentis, SSL pour les consoles de mixage audio, Lawo pour le système de contrôle, Adder Technologies pour le KVM sur IP, Riedel pour l’intercom, Vizrt et Chyron pour l’habillage graphique et Avid pour la postproduction. En effet trente stations de montage et quatre salles de mixage ont été installées à Canal Factory pour les sociétés de postproduction travaillant pour le groupe Canal et regroupées sur le site.

 

Un chantier de quatre mois et demi

Le chantier a été mené dans des délais très courts au cours de l’été 2016 en quatre mois et demi, entre l’arrêt des émissions fin juin et la reprise à l’automne. En septembre et en octobre, elles ont été assurées grâce à des cars régie. Le basculement s’est fait sur un week-end courant novembre.

Avec de tels délais, les travaux de conception ont été menés en parallèle avec l’installation. Pierre Maillat constate que « l’IP offre beaucoup plus de flexibilité à la fois dans la phase de conception des installations et ensuite lors de l’exploitation des équipements. On passe d’une logique câblée à une logique programmée. Cela offre beaucoup plus de souplesse pour passer d’une configuration à l’autre.

Ainsi pour l’émission « Touche Pas à Mon Poste » de Cyril Hanouna qui s’enchaîne avec celle de Camille Combal sur le même plateau, les équipes travaillent en mode « back to back ». Les décors sont construits sur les deux côtés du plateau et il suffit aux caméras de se retourner pour passer d’une émission à l’autre. Le basculement des configurations des équipements se fait durant le générique, grâce au système de contrôle VSM de Lawo ! ».

Par contre avec le passage à l’IP, il n’est pas question de modifier les habitudes de travail des équipes de réalisation. Les pupitres de commande, les dispositions d’affichage du monitoring doivent rester identiques à celles d’un câblage traditionnel. Pierre Maillat fait sien le précepte énoncé par Brad Gilmer, directeur du VSF (Video Services Forum) et de l’AMWA (Advance Media Workflow Association) : « le passage à l’IP c’est un moyen, pas un but en soi. Il doit permettre de développer de nouvelles manières de travailler avec des workflows améliorés ».

Par ailleurs, Pierre Maillat précise que « le choix des actifs réseaux exige un haut niveau d’attention. Il faut veiller au respect de multiples paramètres pour préserver l’intégrité des signaux vidéo et leur timing. Cela exige des phases de validation indispensables ». Il salue d’ailleurs l’efficacité de la collaboration existant entre Grass Valley, Cisco et les équipes de Videlio. Il constate que l’équipementier réseaux engage une vraie approche métier des contraintes de la production vidéo « live ».

Un autre avantage apporté par l’introduction des liaisons vidéo IP concerne le déploiement des baies techniques. Chacune d’elles peut être câblée de manière indépendante avec un switch réseau en tête de baie raccordée aux équipements internes de la baie. Une fois amenées sur le site, il suffit de poser quelques fibres optiques entre les baies pour que le câblage devienne définitif.

Il est important d’associer les équipes de maintenance dès le début du projet de manière à ce qu’elles se familiarisent avec ces nouvelles technologies. En effet en cas de panne, le processus de détection de son origine est complètement différent et parfois déroutant.

 

Une mutualisation des équipements entre les studios

Le site des studios de Boulogne comprend quatre plateaux, dont les deux plus importants de 1 000 et 700 m2 sont aménagés pour le tournage multicaméras avec chacun une régie de production. Les deux plus petits de 300 et 140 m2 sont exploités pour des tournages mono-caméra. Dans l’avenir, celui de 300 m2 devrait être aménagé pour le tournage multicam avec une régie mutualisée avec celles des deux grands.

Le studio A, le plus grand sert quotidiennement en mi-journée pour le talk-show d’actualités « La Nouvelle Édition », puis en fin d’après-midi, à l’émission « Il en pense quoi Camille ? » et enfin à « Touche Pas à Mon Poste » avec la bande de Cyril Hanouna, toutes diffusées sur C8. En week-end, ce même plateau sert aux magazines sportifs de Canal Plus, le Canal Football Club et le Canal Rugby Club. Le plateau B de 700 m2 sert principalement aux tournages du « Petit Journal » et du direct quotidien des Guignols. Ce sont les régies de ces deux plateaux qui ont été totalement rééquipées. Elles ont reçu chacune un nouveau mélangeur Grass Valley Kayenne. Le plateau A a également bénéficié de dix nouvelles caméras Grass Valley LDX 86.

Leurs équipements sont centralisés dans une salle technique unique, de manière à les mutualiser entre les deux régies. Ainsi les serveurs de la régie B inutilisés lors des week-ends, sont affectés au studio A pour les deux émissions sportives, grosses consommatrices de ralentis et de replays. Cette mutualisation requiert alors une grille centrale de très grosse capacité, équivalente à 600 entrées sur 800 sorties en y intégrant le volume des signaux nécessaires à l’alimentation des mosaïques. Se pose alors la question de sa redondance.

Pour Pierre Maillat, le choix d’une infrastructure en IP pour gérer l’interconnexion des équipements apporte plusieurs avantages : une réduction du volume des matériels dans le nodal et des liaisons vers les régies grâce au multiplexage, la possibilité d’avoir une redondance avec un double cœur de réseau et une évolutivité aisée vers la l’UHD et sans doute le HDR.

 

Une architecture mixte SDI et IP

Les équipements de production vidéo en tout IP n’existent pas encore. Pour l’instant, les constructeurs proposent des matériels hybrides disposant d’entrées/sorties SDI et de cartes modulaires IP pour y faire transiter quelques signaux, ou en solution alternative des interfaces externes de conversion IP/SDI.

Ainsi Grass Valley propose pour l’ensemble de son catalogue (CCU, mélangeurs, serveurs, ralentis,…) des solutions intégrant les interfaces 10 Gb/s permettant le transport de signaux en IP. Le constructeur a également conçu une carte interface et de conversion SDI <- > IP pour les châssis modulaires Densité, la carte IPG-3901. Et enfin le boîtier GV Node, système de conversion, de routage et de traitement vidéo.

Pour la nouvelle architecture des régies, les responsables du projet ont choisi de conserver le câblage HD-SDI pour les entrées/sorties nobles des équipements de production comme les caméras, mélangeurs, ralentis, ou l’habillage graphique. Par contre le routage des signaux au niveau de la salle technique, ainsi que les liaisons vers les régies et les plateaux sont réalisées entièrement en IP sur fibres optiques.

La commutation centrale des signaux vidéo IP est effectuée grâce à deux switchs Cisco 9508 équipés de modules optiques et câblés en redondance. Ils fonctionnent au niveau 3 de la couche OSI, en mode multicast IGMP v2 de manière à ce que les commutations de signaux soient effectuées au niveau de l’équipement de destination, et non via un contrôle du routage interne, directement dans les switchs grâce à un SDN.

Le dimensionnement de ces deux switchs a été défini pour assurer une totale redondance pour l’ensemble des équipements raccordés (double attachement au niveau de chaque matériel IP) et offrir une capacité de 600 entrées vers 800 sorties pour une exploitation dans l’avenir des trois régies et des quatre plateaux avec leur passage futur en UHD. Les conversions SDI/IP sont effectuées grâce à une batterie d’environ 130 cartes IPG-3901, réparties entre la salle technique, les régies et les plateaux.

Chaque switch 9508 occupe 13 unités en baies 19 pouces, et donc un volume plus réduit qu’une grille de commutation classique câblée en coaxial. Pour l’instant ils ont été équipés de quatre cartes d’entrées/sorties optiques sur les 8 slots disponibles.

Pour les liaisons vers les régies, les fibres optiques sont munies de 12 brins avec une connectique de type MPO, assurant ainsi chacune le transport de 30 signaux HD-SDI dans chaque sens.

Les unités de traitement GV Node sont raccordées directement aux switchs Cisco 9508, en mode aller/retour par des fibres optiques 40 Gb/s. Ils servent d’abord à créer les affichages multifenêtres renvoyés vers les écrans des régies. Ensuite grâce à leurs fonctions internes de commutation en synchro verticale, ils assurent le rôle de grille de secours pour les mélangeurs. Par ailleurs en mode commutation rapide, ils servent aussi de sélecteurs pour les postes d’ingénieur vision et les stations de création graphique en mode préparation.

 

Trois réseaux séparés

Le premier réseau IP qui vient d’être décrit, est entièrement dédié au transport et à la commutation des signaux vidéo HD entre les équipements des deux studios. Un second réseau IP a été mis en place pour gérer et distribuer les signaux audio en Dante (consoles de mixage SSL-T, interfaces Focusrite, TSL et NTP), assurer le pilotage spécifique aux équipements de production (mélangeurs et interfaces GV, enregistreurs/ralentis XT3 d’EVS, générateurs graphiques Chyron et Vizrt).

Ce réseau sert également aux signaux de contrôle KVM des multiples unités centrales pilotées depuis les régies et au système de supervision VSM de Lawo. Les outils KVM sont gérés entièrement en IP grâce des boîtiers répartis d’Adder Technologies.

Ce second réseau est organisé autour de deux cœurs Cisco Nexus 7004 raccordés à des switchs Cisco 2960 répartis dans les différentes baies et entités techniques. Il est également relié aux actifs réseaux desservant la trentaine de salles de montage installées parmi les sociétés de production hébergées à Canal Factory. Les sujets sont ainsi transférés vers les serveurs EVS XT3, installées dans la salle technique centrale des régies pour une diffusion au cours des plateaux.

Ce même réseau via une salle technique annexe, est relié grâce à des fibres noires aux autres sites du groupe Canal, les studios Lumière de Billancourt et le pôle des chaînes gratuites à Arc de Seine. Il sert également via des Vlan spécifiques à distribuer l’informatique de gestion du groupe sur tout le site.

Un troisième réseau séparé est affecté à la gestion des intercoms. Deux matrices Riedel Artist 128 sont installées en salle technique et leurs signaux sont distribués en Ethernet vers les régies et les plateaux avec le protocole AVB, d’où le choix d’un réseau spécifique avec des actifs de la marque Extreme Networks pour gérer ce protocole.

 

Le VSM de Lawo pour gérer le basculement des configurations

Les émissions s’enchaînent très vite sur les deux grands plateaux. Sur le A, il y a trois directs chaque jour. Les configurations d’équipements doivent donc être modifiées très rapidement. Pour cela un système de supervision est indispensable. Le système de pilotage et d’automation VSM de Lawo a été choisi pour centraliser le contrôle des équipements des deux studios et de la salle technique.

À côté de chaque régie de production, a été installée une régie de préparation. Elle permet aux équipes de production de l’émission suivante de venir caler les sujets à diffuser, de vérifier les sous-titres et l’habillage antenne. Au changement d’émission, les éléments sont transférés des pupitres de la régie de préparation vers la régie de production le temps de diffusion d’un écran publicitaire.

La réalisation d’une même émission est confiée à plusieurs réalisateurs différents. Et chacun souhaite une configuration du mélangeur, du monitoring et de la disposition des affichages multiviewers qui lui est spécifique.

Là aussi le système de supervision apporte une aide indispensable car il mémorise toutes les configurations propres à chaque équipe de production. Il sert également pour le pilotage des switchs IP et au contrôle de tous les matériels de la salle technique. Pour le pilotage des équipements Grass Valley, une couche intermédiaire de contrôle et d’interface est assurée par le système iControl de la marque.

 

Des installations déjà prévues pour l’UHD

Canal Plus diffuse déjà quelques matches de football en UHD, hélas réservés uniquement aux abonnés desservis pour la fibre optique d’Orange. Par ailleurs, la chaîne tourne également des documentaires et des séries en UHD pour alimenter bientôt un canal en 4K.

Pour la rénovation des installations de Canal Factory, l’hypothèse d’une évolution rapide vers l’UHD faisait partie des exigences du cahier des charges. Pour l’instant toutes les installations en exploitation à Canal Factory fonctionnent en 1080i avec un débit de 1,5 Gb/s par liaison vidéo. Mais les équipements de production ont tous été choisis avec une capacité d’évolution simple vers le 2160p avec dans la majorité des cas un câblage en mode Quad SDI. Ainsi les deux mélangeurs vidéo Kayenne, dotés d’une capacité de 192 entrées peuvent basculer en version 48 entrées UHD avec quatre générateurs de M/E.

Les châssis GV Node et les interfaces IPG-3901 sont compatibles UHD, mais pour le passage à ce format, Grass Valley prévoit plutôt d’utiliser la compression TICO en gardant les infrastructures actuelles. Un signal à 12 Gb/s non compressé descend alors à 3 Gb/s.

Le passage à l’UHD exigera seulement de démultiplier les cartes IPG-3901, leurs capacités étant divisées par 2 en passant de 1,5 à 3 Gb/s. Par contre les GV Node et toute l’infrastructure I/P restent à l’identique. La production UHD sera donc réalisée en 2160p avec une compression Tico à 3 Gb/s, avec un second plan vidéo codé en 1080p à 3Gb/s pour le monitoring.

Avant ce passage à l’UHD, d’autres évolutions techniques sont d’ores et déjà programmées pour 2017. D’abord l’implémentation du standard SMPTE 2022-7 qui améliore la redondance du cheminement des paquets IP en permettant à l’équipement destinataire de sélectionner le meilleur chemin, paquet par paquet. Pour l’instant la distribution de la synchronisation aux équipements est encore effectuée avec des signaux black burst ou tri-level, car très peu sont compatibles avec le signal de timing PTP distribué en IP.

Les responsables du projet espèrent distribuer le PTP en priorité sur les interfaces des plateaux pour s’affranchir du bruit causé l’environnement électrique, même s’ils restent quelques incertitudes sur la disponibilité de cette fonction et que semblent subsister des difficultés au niveau de l’intersynchronisation vidéo/audio. Un troisième plateau sera aménagé pour la captation multicam en mutualisation avec les régies existantes.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #22, p.62-65Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.