Marché audiovisuel américain : quelles tendances ?…

Fin spécialiste des médias et de leur économie depuis une dizaine d’années, Jim O’Neill, a livré il y a quelques mois sur www.videomind.com une analyse du marché du broadcast 2019 principalement centrée sur les États-Unis...
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Après une année 2018 extrêmement riche en rachats (Disney/Fox, AT&T/Time Warner, Discovery/Sky), le marché nord-américain va se réorganiser cette année. Comment les consommateurs vont-ils réagir face à ce paysage qui se redessine, où Netflix et consorts font de l’ombre aux TV « traditionnelles » ? Les offres OTT vont-elles continuer à progresser ?

 

Dans son rapport, Jim O’Neill avance l’hypothèse d’une perte des frontières entre médias linéaires et non linéaires. L’un des points clés tient dans le fait que le spectateur considère les fournisseurs d’images comme un seul média, et que sa consommation évolue du linéaire au non linéaire. Plongée dans cet état des lieux du marché des États-Unis.

 

Si l’Europe regarde toujours à l’ouest, calquer les conclusions du marché nord-américain sur celles de l’Europe est quelque peu malaisé. Une donnée incontournable est le coût extrêmement élevé des abonnements Internet aux États-Unis : 107 $ par mois en moyenne, plus de trois fois plus que la majorité des offres triple play en France.

 

Le paysage audiovisuel nord-américain est dominé par cinq réseaux nationaux privés à couverture nationale (ABC [Disney], CBS, NBCU [Comcast], The CW Television Network [fusion de CBS et Time Warner], Fox). PBS est la seule chaîne publique. S’ajoutent ensuite des télévisions privées, qu’elles soient locales, religieuses, communautaires. Toutes vivent grâce à la syndication.

 

La taille du territoire et les zones quasi-vides ont handicapé le développement de l’hertzien ; le marché audiovisuel s’est surtout développé via les PayTV diffusées par câble. Longtemps en pointe, elles sont aussi dans la tourmente. Si le téléspectateur, comme en Europe, tend à vieillir, il ne se contente plus des chaînes traditionnelles et ajoute une consommation non linéaire.

 

Aux États-Unis, selon des données de Barclays, le nombre de 50-64 ans consommant des contenus en OTT a bondi de 45 % entre 2016 et 2017 et de 36 % pour les 65 ans et plus, 42 % des 45-54 ans étant abonnés à au moins un service de SVOD en 2016 (source : Paywizard). Malgré tout, comme en France, 42 % des Américains privilégient encore le bon vieux poste de télévision.

 

 

Vers un marché OTT saturé ?

Outre des écrans plus grands, les téléspectateurs sont friands d’images optimisées en très bonne qualité. Selon les projections de Futuresource, d’ici à 2022 les écrans 4K-UDH dépasseront la barre des 100 millions d’unités vendues, la moitié étant compatible HDR. La Chine et les États-Unis tirent le marché, suivis par l’Europe (+30 % des ventes en 2018). Cet engouement est entretenu par les diffuseurs et ce, malgré le coût.

Selon Khin Sandi Lynn, analyste d’ABI Research, le format 4K devient le standard pour les ventes TV. Il prévoit que plus de 600 millions de foyers seront équipés en UHD TV d’ici à 2023 (dont deux tiers aux USA), qui seront connectées. Une donnée presque certaine aux USA où 83 % des postes sont connectés (source : Parks Associates) et une manne pour les services OTT.

Avec l’arrivée des nouveaux services OTT, le marché audiovisuel risque-t-il le trop plein ? Que nenni pour Jim O’Neill, pas le moins du monde. Seules limites, le portefeuille et le temps libre des téléspectateurs. Côté temps, selon Nielsen, les Américains regardent plus de 8 milliards d’heures de vidéos par mois sur leurs postes connectés.

 

Parmi les 18-29 ans, 61 % (Pew Research Center) regardent la TV via des services de streaming, 47 % des 22-45 ans ne la regardent plus sur les chaînes « traditionnelles ». Tous âges confondus, 32 % plébiscitent Netflix pour trouver leurs contenus préférés (Conquering Content, Hub Research). Plus de la moitié constatent la richesse de l’offre et 35 % privilégient la recommandation via les réseaux sociaux ou le bouche à oreille plutôt que la publicité (29 % contre 54 % pour les chaînes classiques). L’OTT se fait une belle place au soleil nord-américain : 13 milliards de revenus et 168 millions d’abonnés tous services agrégés (S&P Global).

Avec les nouveaux services SVOD nés en 2018 tels que ESPN, A&T, Turner Sports ou Crown Family Media Networks, puis le lancement des plates-formes Disney, NBCU, etc., le chiffre de 208 millions d’abonnés en 2022 est avancé. Les prévisions augurent une croissance moyenne globale du marché des services OTT premium de l’ordre de 9,7 % par an. Celle-ci trouvera ses racines dans le développement d’offres locales (iFlix, HOOQ et Viu en Asie), de niche, mais aussi le développement de sites sans intermédiaire, à l’instar de la future offre SVOD Disney+.

Malgré tout, selon l’auteur de ce rapport, Netflix, Amazon et Hulu vont poursuivre leur domination, même s’ils sont menacés par ces diffuseurs D2C (du distributeur au consommateur) lancés par les chaînes et les producteurs de contenus, notamment de sport en live. Ils devraient engranger 21,2 milliards de dollars en 2022 contre 16,38 en 2017.

 

 

L’âge d’or du contenu

Selon les prévisions de Delloite, le marché de l’OTT totalisera plus de 777 millions d’abonnés dans le monde d’ici à 2023, contre 368 millions en 2017 et 375 millions en 2018. Netflix en comptera alors 192 millions, soit un quart. Le marché sera porté par l’Asie et ses 351 millions d’abonnés, dont 235 millions en Chine. Rien qu’aux États-Unis, plus de 200 services de streaming sont accessibles par abonnement et le nombre n’est pas près de s’arrêter entre Disney+, Apple, etc.

Autre nerf de la guerre : le contenu, une denrée au cœur des stratégies. Ainsi, AT&T s’appuie sur la chaîne du groupe HBO et vise une accélération de la production originale, plus proche de celle de Netflix. D’autres découpent leur catalogue, créant des offres de niche. Afin de se distinguer, le graal est bien entendu la création originale. En 2018, les écrans américains ont vu défiler 495 séries : 160 sur les plates-formes de SVOD, 146 sur les chaînes et 144 sur les IPTV. En 2019, 525 à 550 séries sont annoncées, avec une accélération de la production en Europe.

 

Netflix a en effet prévu d’entrer dans 221 productions (contre 141 en 2018), à raison de 10 à 12 par pays. Le géant américain va se plier au 30 % d’œuvres européennes obligatoires dans le catalogue proposé, le quota instauré par la directive européenne sur les médias audiovisuels. Le mastodonte Disney+, combinant ses forces avec la Fox, dépensera 22 milliards de dollars dans ses productions, Discovery (Comcast), absorbant Sky, déboursera près de 21 milliards de dollars. À eux deux, ils couvrent, selon Ampere Analysis, plus de 20 % de la dépense globale, loin devant Netflix et ses 13 milliards annoncés.

Aux États-Unis, la réaction face au succès de la compagnie de Ted Sarantos se traduit par une rétractation du marché audiovisuel traditionnel et, par conséquent, une vague d’acquisitions à hauteur de 323 milliards de dollars, rien qu’au premier semestre 2018. Les conglomérats des télécoms tels que AT&T deviennent des géants audiovisuels en rachetant Time Warner et combinent leurs expertises. Avec la 5G, ils espèrent ramener vers les écrans les Millenials.

 

 

Virtual pay-TV et sport, l’avenir ?

Une des voies de développement semble passer par les « virtual pay-TV » ou vMVPDs (plate-forme d’agrégation et de diffusion que l’on peut rapprocher d’un Molotov). Elles rassemblent 4,1 millions d’abonnés (dont 1 million chez Hulu), une goutte d’eau certes dans le marché américain. Selon les estimations d’UBS, elles totaliseront 25 % des abonnements de pay-TV en 2022 (24 millions). Le secteur qui souffre le plus est justement celui de l’IPTV. Au troisième trimestre 2018, elle a perdu plus de 1,1 million d’abonnés. Selon emarketer, 55 millions d’Américains auront résilié leur abonnement en 2022. À 107 dollars par mois, la facture est lourde, d’autant que pour 40 dollars, le consommateur américain peut avoir accès, via un vMVPDs, à YouTube, TV Hulu et un bouquet basique d’une petite centaine de chaînes.

Ce transfert n’est pas des moindres puisque Researcher SNL Kagan prévoit que ce marché atteindra 2,8 milliards de dollar en 2019, et 7,8 milliards de dollars d’ici à 2022. Mais pour le moment, même si, selon Bernstein Research, YouTube ou AT&T (via DirecTV Now) perdent de l’argent, le but est de prendre position sur le marché de l’audiovisuel, de creuser son sillon.

 

Les diffusions sportives sont les autres contenus que guettent les services de streaming, car elles sont championnes en termes d’audience. Les coûts des droits de diffusion restent un frein. Amazon Prime Video est le plus avancé dans cette course. La société de Jeff Bezos est en lice pour le rachat des 22 chaînes régionales que Disney est obligé de céder suite à son acquisition de la 21st Century Fox.

Ce n’est pas une première pour Amazon, qui a déjà absorbé Sinclair Broadcast Group, KKR, The Blackstone Group, Tegna, et Apollo Global Management, mais ce serait un coup d’envoi pour le business du sport diffusé en streaming. Et les fédérations s’en félicitent, y voyant un moyen de séduire un public jeune. Il continue d’intriguer diffuseurs et publicitaires, car comme le souligne en conclusion d’une étude Omnicom Media Group, réalisée par Scott Hagedorn, CEO de Hearts & Science : « C’est très effrayant », en se référant à l’impossibilité de mesurer ou de cibler les 50 % des 22-45 ans qui ont déserté les écrans traditionnels.

 

 

LA TV, UN TRUC DE VIEUX ?

Selon une étude du cabinet Moett Nathanson Research, l’âge médian du téléspectateur (toutes TV confondues) est de 44,4 ans. Sur ABC, CBS, NBC et Fox, l’âge s’établit à 53,9 ans (+7 % depuis 2010), à 58,7 ans sur CBS. Fox décroche l’âge médian de 47,8 ans.

 

 

LA TV AUX USA

• 128 millions des foyers.

• Le foyer moyen est abonné à trois services vidéo* et à deux autres services (livre, musique, jeux vidéo).

• 76 % sont abonnés à Netflix, Amazon ou Hulu.**

• 8 % sont abonnés à des services de pay TV virtual comme YouTube TV ou DirecTV Now.**

* Deloitte ** The Diffusion Group

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #31, p.78/79. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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