Orange sur les routes du Tour de France

Quelques semaines après la victoire finale du colombien Egan Bernal sur les Champs-Élysées, un comité technique s’est réuni en octobre pour définir les architectures qui seront mises en œuvre par l’opérateur national pour l’édition 2020 de la Grande Boucle. Henri Terreaux, directeur chez Orange Events, revient sur le dispositif de cette année et éclaire sur celui de l’an prochain.
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Mediakwest : Pour l’acheminement des données de toutes sortes (photos, vidéos, audios, textes, statistiques…), quels sont actuellement les besoins sur le Tour de France ?

Henri Terreaux : L’atypisme du Tour de France tient à deux paramètres : itinérance et complexité des sites d’arrivée, peu adaptés à recevoir les infrastructures du troisième évènement sportif mondial, comme ce fut le cas cette année pour le Tourmalet, Prat d’Albis, Valloire et Val-Thorens. Les besoins des différentes parties prenantes (télés, radios, agences photographiques ou encore ASO, l’organisateur du Tour, pour les points chrono, le classement, le web…) nécessitent trois liens 1 Gb/s qui alimentent trois ISAM (multiplexeurs d’accès – DSLAM – d’Alcatel-Lucent) full Giga Ethernet. Deux liens desservent la ligne d’arrivée et un autre, les connexions des 400 journalistes de la presse écrite et des organisateurs en salle de presse.

Il faut distinguer deux dessertes : la desserte des sites « départ », « arrivée » et « salle de presse », qui achemine les données d’un routeur de collecte vers la ville étape, et la desserte interne de chaque zone depuis les différents DSLAM. Depuis deux ans, sur les étapes complexes et à multi-zones, nous transportons et sécurisons également les flux des caméras de télévision grâce, notamment, à l’installation de câbles gainés de kevlar, utilisés en particulier entre les cols du Galibier et du Lautaret ; d’où une responsabilité accrue lors des directs.

 

M. : Quelles infrastructures réseaux mettez-vous en place pour répondre à ces besoins ?

H. T. : Le Tour de France amorce depuis cette année une évolution majeure car il démultiplie les arrivées multi-zones et celles sur des sites nouveaux. Les infrastructures réseaux sont simplifiées dans les villes « au pied des montagnes », comme Pau ou Gap, sur les étapes incontournables (Alpe-d’Huez, Planche des Belles Filles…) ou sur les étapes citadines (Montpellier, Saint-Etienne…) car les ressources réseaux sont déjà disponibles. L’exercice, en revanche, est plus complexe lors d’une arrivée au sommet d’un col, que ce soit le Galibier, l’Izoard ou le Tourmalet, car nous devons soit installer des fibres temporaires, soit utiliser une technologie FH (faisceaux hertziens).

Pour prendre l’exemple du Prat d’Albis en 2019, nous avons acheminé 11 kilomètres de fibre depuis Foix jusqu’au sommet. Dans le cadre du RIP (Réseau d’Intérêt Public) Ariège, le génie civil et le fibrage serviront à la desserte des villages et à l’opticalisation d’un relais 3G/4G qui était desservi précédemment en FH. À Chalon-sur- Saône, nous avons fibré le Parc des Expositions et, à Epernay, le lycée qui abritait la salle de presse. Les infrastructures que nous installons pour le Tour profitent également à la collectivité de par l’amélioration des réseaux fibre et GSM dans les régions que nous traversons.

 

M. : Et pour la desserte interne ?

H. T. : Ici, le principe est que les liens 1 Gb/s alimentent trois camions faisant chacun office de nodal et dans lesquels sont embarqués des DSLAM, des PABX, qui permettent de délivrer les services voix (téléphonie, Numéris), des routeurs, des valises wi-fi, des équipements de vidéosurveillance, d’autres de visioconférence pour suivre en temps réel les commentaires des coureurs à l’arrivée, du li-fi en démonstration, etc. Nos camions transportent ainsi vingt tonnes de matériel.

En desserte interne, le déploiement sur une ligne d’arrivée et une salle de presse représente de 12 à 18 kilomètres de câbles et fibre optique tirés chaque jour, en moyenne, par nos équipes (ndlr : sur un total de quelque 60 kilomètres de conducteurs divers), 30 routeurs, 70 switchs, 20 points d’accès et des systèmes atypiques de traduction simultanée utilisant la technologie Sennheiser MobileConnect, étant rare de trouver de tels systèmes d’accessibilité sur wi-fi.

 

M. : À court ou moyen terme, comment ce dispositif va-t-il évoluer pour satisfaire une demande croissante de données en tous genres ?

H. T. : Les usages explosent et nous atteignons des débits crêtes qui effleurent notre marge de sécurité. Vu l’évolution des cœurs de réseau, une migration vers des technologies 10 Gb/s via des DSLAM 10 Gb/s et de l’Olt GPON semble inéluctable à court terme. Le passage de trois liens à 1 Gb/s à trois liens à 10 Gb/s va modifier considérablement les architectures réseaux et engendrer immanquablement une problématique sur la transmission par faisceaux hertziens.

 

M. : Parmi ces évolutions, un upgrade mobile 5G est-il envisagé ?

H. T. : Ma vision est que le futur réseau 5G sera complémentaire des réseaux fibre existants pour des usages différents. La vision client, particulièrement les télés et agences photographiques, est d’avoir la certitude de transmettre en upload sur du débit garanti. L’évolution technique des différents constructeurs de terminaux permettra, je l’espère, un développement prochain de la 5G. En fonction du tracé du Tour 2020, nous aurons peut-être l’opportunité de pouvoir réaliser une démonstration 5G.

 

M. : En quoi, selon vous, le déploiement de la 5G pourrait-il transformer l’offre de services d’Orange sur le Tour de France ?

H. T. : Il faudra attendre la V2 de la 5G pour offrir ce débit garanti attendu par les médias. Grâce à la 5G, on peut envisager, par exemple, une nouvelle régulation des véhicules de la caravane publicitaire et une évolution sur les analyses en temps réel du merchandising des boutiques. Quant au grand public, il me paraît évident que l’évolution technique en termes de vitesse et de capacité lui permettra de vivre l’épreuve en immersion avec les coureurs.

 

M. : Quelle est la capacité des fibres que vous utilisez actuellement ?

H. T. : Les contraintes de terrain et la performance des matériels nous ont conduits à utiliser la technologie fibre Neutrik, essentiellement des 12 FoP, pour ses performances dans les environnements contraints et sa résistance aux agressions externes, comme le piétinement des spectateurs et des suiveurs ou le passage de véhicules lourds sur les câbles, grâce à un système constructeur de blocage de sécurité sur les connectiques.

Pour rappel, les deux points névralgiques d’un câble sont la structure de sa gaine, qui doit s’adapter aux contraintes mécaniques ou climatiques, et la fiabilité des deux extrémités et des connectiques (blocage, déverrouillage, qualité de l’interconnexion limitant les pertes en dB). Cette année, en intersite point à point, nous avons posé une 72 FoP sur quatre kilomètres pour relier les deux zones techniques sur les étapes de Val-Thorens et d’Épernay.

 

M. : Faut-il s’attendre à la mise en place de nouvelles architectures avec des capacités accrues dès l’an prochain ?

H. T. : Un comité « ingénierie technique » se réunira au mois d’octobre pour définir, en fonction du cahier des charges d’ASO, du parcours, des évolutions techniques réseaux et terminaux du Groupe Orange, les évolutions et architectures à mettre en œuvre pour l’édition 2020. Néanmoins, les raccordements réalisés en 10 Gb/s sur une étape test des Tours 2018 et 2019 nous permettent d’entamer une migration vers cette technologie dès l’an prochain. Notre problématique est celle de la réplication des architectures réseaux, quel que soit le lieu de l’étape. Les tests de switching sur les étapes de montagne ont toutefois démontré que le réseau s’était dimensionné en conséquence et que les délais dans le système d’information pour basculer d’un routeur 10 Gb/s vers celui de l’étape suivante ne constituaient pas un frein ou une source de dysfonctionnement.

 

M. : Pour ce qui est de l’acheminement des données, quelle est la plus grosse contrainte sur le Tour ?

H. T. : La plus grosse contrainte sur le Tour reste les étapes à l’étranger et les étapes de montagne. À l’étranger, car nous ne maîtrisons pas toute la chaîne d’analyse et de supervision. Et en montagne, car nous sommes en position de fragilité, tant pour ce qui est du réseau que des usages : à titre d’exemple, cette année, nous avons dû absorber 350 000 connexions en moins d’une heure sur l’une des BTS (relais GSM temporaire 3G/4G) située dans la montée du Tourmalet.

 

M. : Les données produites par les médias sur l’ensemble du Tour représentent quels volumes ?

H. T. : Côté GSM et fibre, plus de 110 To ont été échangés cette année. Et côté GSM voix + SMS, nous avons atteint l’équivalent de 500 000 Erlangs.

 

M. : Par ailleurs, le Tour représente combien de connexions au total ?

H. T. : Nous dépassons les 100 000 connexions quotidiennes sur les différentes zones du Tour où 4500 suiveurs travaillent au jour le jour. Pour rappel, le site du Tour de France (letour.fr) a totalisé plus de 41 millions de visites pour 17 millions de visiteurs uniques, 126 millions de pages vues et 73 millions de vidéos vues, dont 3,5 millions lors de la dix-neuvième étape, marquée par l’abandon du français Thibaut Pinot.

 

M. : Comparativement à d’autres événements récents, comme l’Euro 2016 ou le Mondial de football féminin, également organisés en France, ces chiffres font-ils de la Grande Boucle l’événement sportif le plus connecté ?

H. T. : À l’évidence, sur un stade gratuit de 180 kilomètres, soit la longueur moyenne d’une étape, le Tour de France enregistre une audience et un taux de connexion largement supérieurs. La présence de 99 chaînes de télévision sur l’événement, diffusé dans 190 pays, de 70 radios, de 91 agences photographiques et de 2 000 journalistes accrédités engendre une volumétrie de données également supérieure.  

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.106/110. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.