« Un si grand soleil », Plongée dans les coulisses du nouveau feuilleton de France 2

Depuis la rentrée, France 2 diffuse le feuilleton quotidien « Un si grand soleil ». Produit intégralement par le groupe, le projet s’appuie sur un nouveau pôle créatif basé à Montpellier. Un outil innovant qui vise à répondre à deux objectifs : rationaliser les coûts de la fiction, et monter en qualité. Mediakwest vous dévoile les coulisses du projet.
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Un départ canon ! Quatre millions de téléspectateurs la première semaine, trois millions de fidèles au bout d’un mois… Lancé fin août, « Un si grand soleil », nouveau feuilleton quotidien de France 2, a trouvé son public. « Le démarrage est réussi », se satisfait Toma de Matteis, producteur du projet au nom de France.tv studio (lire plus loin). « Il faudra attendre voir d’ici quelques mois s’il réussit à s’installer. »

Tous les ingrédients semblent réunis : une case forte et originale, à 20h40. Un casting mêlant acteurs confirmés (Fred Bianconi, Chrystelle Labaude, Manuel Blanc…) et jeunes espoirs. Et une ambition artistique et éditoriale qui dépasse les standards d’un feuilleton. Toma de Matteis préfère d’ailleurs parler de « série quotidienne » : « Souvent, les feuilletons ont une dimension moins qualitative, une image moins léchée. On voulait que le public apprécie vraiment ce qu’il voit ! »

Olivier Roelens, producteur exécutif du projet, est sur la même ligne : « L’idée était de ressembler plus à un téléfilm qu’à un feuilleton de journée. » Un parti pris ressenti derrière la caméra : « J’ai connu d’autres feuilletons : le curseur est un cran au-dessus dans l’exigence de qualité », confie le réalisateur Pascal Roy, qui a tourné une dizaine d’épisodes.

Un choix qui suit l’évolution du marché, explique Toma de Matteis : « Désormais, nos concurrents sont Netflix et les séries américaines. Dans un paysage audiovisuel dont la qualité globale augmente, on se doit d’être le plus exigeant possible dans le choix des équipes, l’image, le casting des comédiens… »

 

 

Montpellier, ville télégénique

Il fallait un écrin à la hauteur. Toma de Matteis a parié sur Montpellier. « Elle réunit beaucoup d’éléments nécessaires au succès : climat ensoleillé, richesse visuelle… La ville est multiple, entre quartiers ultramodernes et rues anciennes. Et dans un périmètre restreint, on trouve une diversité de décors assez inégalée en France. »

Il n’est pas le seul à s’en rendre compte. « Rien que pour la télévision, on trouve en quelques kilomètres Tandem, Candice Renoir, Demain nous appartient… », liste Toma de Matteis. Car les collectivités, conscientes de l’intérêt touristique et économique, se mettent au diapason des tournages. « Région, Ville et Métropole sont partenaires de notre projet, et facilitent le quotidien : création des studios, autorisations de tournage… ».

S’il se base sur de grandes thématiques romanesques (le retour d’une femme dans sa ville, 17 ans après, avec son fils), le scénario a ainsi été adapté à Montpellier. Les personnages vivent leurs aventures à la sauce locale : rendez-vous à la plage ou au musée Fabre, travail au zoo municipal…

« Inscrire un zoo dans un feuilleton quotidien, cela ne se fait jamais, s’amuse le planner Jean-Julien Van Butsel. La mer, la montagne, les champs d’oliviers, on doit les voir à l’image. C’est la valeur ajoutée du projet. »

Hormis l’écriture et la postprod restées à Paris, les 235 épisodes de 22 minutes sont intégralement créés sur place, par près de 200 personnes. Un studio a donc été aménagé dans un ancien entrepôt logistique de 16 000 m2 et 11 mètres de plafond, à Vendargues, en périphérie de Montpellier. Ce qui en fait le plus grand pôle de production d’une chaîne française !

« Il a fallu augmenter la puissance électrique, mais le bâtiment offre de nombreux avantages : il est près de l’autoroute, du bon côté pour l’aéroport, la gare TGV. En plus, on est dans une zone d’activité : tout est adapté au passage de camions », confie Olivier Roelens.

Forcément, c’est trop grand pour lancer un seul feuilleton… Mais Toma de Matteis anticipe l’avenir : « On a bon espoir que le succès dure dans le temps. On aura besoin de plus d’espace, de développer continuellement de nouveaux décors. »

Les travaux ont été réalisés au second semestre 2017. Mais le projet, amorcé en 2016, avait déjà bien avancé avant la remise des clés, en janvier 2018. « On était dans un tempo contraint. Le tournage devait débuter en avril 2018, pour une diffusion à la rentrée », détaille Olivier Roelens. Repérages, dessin des premiers décors, calendrier de tournage, choix du matériel, recrutements… tout a été mené en amont. « Le défi, c’était d’être prêt dans les temps, pour ne plus s’arrêter. » Car il y a rarement des pauses dans le tournage d’un feuilleton.

 

 

Deux studios au lieu d’un

Déjà séparé en deux zones de 8 000 m2, le bâtiment a été facile à aménager : le côté est pour l’espace de vie du tournage (studios, bureaux, catering…) ; le côté ouest, déjà doté de racks de rangement, pour les stocks et l’atelier de décors.

Au cœur de l’espace de vie, l’équipe a été installée dans un « village ». Au lieu de grands open-spaces, la production a préféré un bâtiment de petits bureaux en U, sur deux étages. Au fil des coursives, on croise donc les services : casting/figuration, coordination d’écriture, déco, régie, préparation de la mise en scène… Au rez-de-chaussée, on trouve les 15 loges des comédiens, connectées à l’espace coiffure/maquillage et au stock costume.

 « On l’a pensé comme un décor. L’entreprise Cougnaud nous a fourni une structure métallique, que l’on a fait barder avec des panneaux de bois pour lui donner un côté sympa », s’amuse Olivier Roelens. La place centrale, ou « agora » sert de lieu de rencontre et d’échange. « Ce qui fait le succès de ce type de projet, c’est la communication entre les gens. Ici, tout le monde est proche de tout le monde. »

Juste à côté, deux gros cubes colorés attirent l’œil : les studios de 1 100 m2. « Avec une seule boîte, on ne peut pas faire de prépa en déco, prelight, travailler les décors, tout en tournant non-stop du lundi au vendredi, commente Olivier Roelens. Deux studios, cela nous permet d’alterner. »

Tous deux sont insonorisés et surélevés sur des dalles avec isolation en mousse, absorbant les vibrations. À l’intérieur, une douzaine de décors entourés de fonds verts sont déjà installés (zoo, commissariat, magasin, villa…), ayant nécessité 20 kilomètres de battants et 5 700 m2 de panneaux en contre-plaqué. Surprise : les murs sont fermés, et non pas « trois feuilles », comme dans beaucoup de feuilletons. « On peut s’amuser comme à l’extérieur, faire des 360. Le rendu est plus réaliste », salue le réalisateur Pascal Roy.

 

 

Précision des décors et de la lumière

On compte plus de 300 projecteurs avec une prédominance de panneaux led Cineroid : FL 400 (25 x 25), FL 800 (50 x 50)… Des Practilite de Kinotehnik (Fresnel à led) servent aussi de lumière d’appoint. Des HMI sont également utilisés pour les entrées lumière par les fenêtres, en rebond sur draps ou floppy crème.

« Comme il nous fallait de la puissance, on a puisé dans le parc du groupe : M18, M40, 4K Cinepar, 1200 Cinepar, Fresnel 575 Cinepar », détaille Philippe Malleck, référent électricité et éclairage. Le technicien confirme l’approche qualitative : « On est largement au niveau d’exigence d’un téléfilm unitaire. Le travail est plus complexe, nous prend plus de temps que pour d’autres feuilletons. Mais on ne sort pas le même résultat ! »

Les réglages lumière sont très subtils : « Le chef opérateur nous demande quelque chose de doux et de naturel. C’est un vrai défi ! » Les techniciens pilotent donc en permanence leur console Chamsys MagicQ depuis une tablette, grâce à l’appli MagiQ remote. « Tous les projecteurs sont reliés en DMX, énonce un membre de l’équipe. On indique l’identifiant, et on peut régler avec deux molettes l’intensité et la température de la couleur, selon les demandes du chef op. On peut aussi créer des ambiances de nuit… »

Le plus complexe, c’est d’être raccord avec la lumière extérieure. D’ailleurs, un décor de café a été aménagé sur la façade du hangar, hors des studios. De quoi tourner sur place, mais en lumière naturelle !

Justement, les décors impressionnent par leur réalisme. « On a toujours ce souci, mais là, on va bien plus loin. C’est un projet un peu unique », se félicite Philippe Ramousse, chef décorateur. Encore un peu vide, son atelier, de l’autre côté du hangar, va monter en puissance d’ici la fin de l’année. « Les premiers décors ont été préconstruits à l’atelier de Marseille, qui va fermer. »

L’enjeu dépasse même le feuilleton : Vendargues devrait devenir la menuiserie centralisée de l’ensemble du groupe ! Pour l’occasion, Philippe Ramousse a conçu une machine à vérins capable de soulever et déplacer les grands châssis. « Cela nous évite de morceler les décors. On peut même transporter des murs avec embrasures de portes ! »

Sa machine servira également pour l’espace de stockage de 6 000 m2, juste à côté. En plus d’abriter les objets du feuilleton, il va recevoir progressivement l’ensemble des stocks de décoration du groupe. « On crée un hub logistique mutualisé », annonce Olivier Roelens. Le catalogue sera disponible pour l’ensemble du groupe. Il est même envisagé de créer un service de location externe. Comme Universal, à Los Angeles !

 

 

Trois équipes en simultané

Mais la vraie singularité du projet, c’est son approche du tournage. Chaque épisode est une coréalisation entre trois équipes, dont deux tournent uniquement en extérieur : la « 2 » est en charge des plans nécessitant de gros moyens, et la « 3 », plus légère, réalise les images complexes : séquences embarquées en voiture, plans en drone, scènes sur la place de la Comédie…

Les équipes travaillent du lundi au vendredi, sur des cycles de quatre semaines : dix jours pour la préparation, et dix jours de tournage. Olivier Roelens décrit une organisation millimétrée : chaque groupe, équipé en matériel, travaille en crossboard sur dix épisodes. Charge aux planners de gérer la présence et le transfert des 40 comédiens.

« C’est une partie d’échecs à trois joueurs, résume Jean-Julien Van Butsel. On part d’un plan de travail, et on range par décor. Comme les déplacements coûtent cher en temps, on optimise les lieux, tout en optimisant les cachets des comédiens. Cela demande beaucoup de communication et de rigueur ! »

Sa principale crainte : les aléas climatiques. « Sur ‘Plus belle la vie’, on avait une seule équipe extérieure, qui ne sortait pas tous les jours. On pouvait donc s’adapter. Là, on est en flux tendu, avec trois équipes qui tournent en continu… Cela bousculerait tout ! ».

La production a misé sur des caméras « standards, mais polyvalentes » : cinq Panasonic Varicam LT et trois Panasonic EVA1. « Leur sensibilité est telle que l’on n’a presque pas besoin d’éclairer la nuit », affirme Philippe Malleck.

Chaque équipe utilise deux caméras, et dispose d’un équipement technique : Steadicam en studio, stabilisateur Ronin 2 en extérieur. L’objectif commun : boucler un épisode de 22 minutes par jour. « On doit donc tourner tous les jours, quoi qu’il arrive », prévient Olivier Roelens.

Mais Pascal Roy l’assure : « On ne manque pas de temps ! Deux semaines de préparation, c’est ce qu’il faut. On nous demande 12 minutes d’images par jour… Habituellement, c’est plutôt 18 ou 20 ! Cela laisse plus de temps pour le découpage, la lumière, le travail des acteurs. Forcément, le niveau de qualité augmente ! ».

Les techniciens apprécient. « C’est vraiment fabuleux de travailler sur ce projet », s’enthousiasme le réalisateur Chris Nahon. « On ressent une grande confiance, car les producteurs ne sont quasiment jamais sur le plateau. On est libres de nos mouvements pour être créatifs au maximum. Et il y a une grande ouverture : tu peux proposer des solutions et des idées nouvelles. »

 

Un exemple d’avenir ?

Un management serein qui permet de fidéliser les équipes, souligne Olivier Roelens : « Le stress et l’urgence, c’est improductif. Les techniciens, si l’ambiance ne leur convient pas, ne reviennent pas la semaine suivante : il y a tellement de projets en cours… On refuse la surenchère des conditions, mais notre approche peut faire la différence. Un travail de qualité dépend aussi de gens satisfaits et qui s’impliquent. »

Même la postproduction, à Saint-Cloud, en bénéficie : le temps d’étalonnage, de montage son ou de mixage est multiplié par deux. « En termes de gain qualitatif, la différence est nette », promet Olivier Roelens.

Pourtant, il certifie que le feuilleton ne coûte pas plus cher qu’un autre. « C’est l’intérêt de mobiliser les moyens et outils du groupe : on lisse nos coûts. » Créer des services mutualisés pour le groupe permet également des économies d’échelle. « On est dans la rationalisation de notre outil. Cela répond à l’obligation de ne pas faire n’importe quoi avec les deniers publics », précise Toma de Matteis.

Dans l’avenir, le studio de Vendargues pourrait accueillir d’autres projets. « Il peut devenir l’un des pôles centraux de production du groupe », prévoit Toma de Matteis. Y compris en coproduction avec le privé. Mais il faudra alors créer de nouvelles boîtes : les deux studios débordent ! Olivier Roelens imagine aussi aménager, autour du café, une véritable rue-décor sur la façade du hangar. Une idée hollywoodienne !

« Notre approche n’est pas classique pour la France, c’est vrai. Mais la question à se poser, c’est à partir de quel moment on arrêtera de gaspiller l’argent pour des structures éphémères. Un studio américain, il vit tout le temps, avec plusieurs projets. Vu l’économie de la fabrication de fiction, la quantité de projets en cours, on a tout intérêt à faire pareil… »

 

 

Une production 100 % France Télévisions

« Un si grand soleil » est coproduit par France Télévisions et le label Epeios Productions de sa filiale France.tv studio (ex MFP). Véritable bras armé du groupe, France.tv studio produit des fictions (Alex Hugo, Maman a tort…), des émissions de flux, événements (Fête de la Musique, Téléthon…), des documentaires animaliers… Mais elle assure aussi du sous-titrage pour le groupe, et propose un service de doublage à des clients comme Arte ou Endemol.

La production exécutive est partagée par France.tv studio et les moyens internes de fabrication, le service direct de production du groupe, spécialiste des plateaux, jeux, car-régie… En théorie, l’un est plutôt porté sur l’artistique, et l’autre sur le technique. Mais dans les faits, pour créer un collectif, Toma de Matteis et son équipe ont procédé à un maillage des compétences et talents entre les deux structures.

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #29, p.28/30. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.