CineMotionLab, des robots industriels au service du cinéma

CineMotionLab, une aventure née en 2014 de la rencontre de trois passionnés aux profils complémentaires : Raoul Rodriguez, de Sublab, spécialiste majeur de la location de caméras haute-vitesse à Paris ; Franck Stadelmann d’IziTeach, intégrateur et formateur en robotique industriel, et Jean Chesneau, créateur de Propulsion, entreprise spécialisée dans la machinerie pour le cinéma. Raoul Rodriguez a depuis lors quitté l’association pour monter sa propre structure dédiée aux robots, et pour une clientèle plus internationale, là où CineMotionLab travaille plus sur le marché français et européen. C’est Jean Chesneau qui nous a reçus dans les locaux de la société idéalement implantée dans un écrin de verdure à Ris-Orangis, aux portes de Paris.
1_Jean Chesneau et Thomas Gazon de CineMotionLab.jpg

 

Mediakwest : Quelle est l’offre de CineMotionLab ?

Jean Chesneau : Nous proposons une offre très large et sommes aujourd’hui les seuls en France à mettre en œuvre un robot (le Max) associé à un travelling de dix mètres, une tournette et trois moteurs de point, zoom et diaph, le tout asservi. Des mouvements parfaitement synchrones et reproductibles peuvent être programmés avec le travelling, le robot et la tournette. La précision de la trajectoire, qui peut être rejouée à la demande, est de trois centièmes de millimètre, presque trop performante pour les besoins du cinéma.

 

M. : Quelle a été l’origine de cette aventure ?

J. C. : Raoul Rodriguez avait des demandes en robotique et ne disposait pas des compétences nécessaires. Il m’en a parlé et je me suis, à mon tour, tout naturellement retourné vers Franck Stadelmann, dirigeant d’IziTeach, une structure d’intégration robotique dédiée à l’industrie pour les chaînes de soudure, de peinture et d’assemblage.

 

M. : Cette adaptation des robots du monde de l’industrie vers la vidéo s’est faite ailleurs dans le monde ?

J. C. : Oui, des gens comme Marc Roberts ont également adapté un robot. Il est aujourd’hui le leader mondial avec le robot Bolt qui n’est pas directement présent en France, hormis par l’intermédiaire d’Alex de Heus qui est basé en Hollande.

 

M. : Jean, peux-tu nous donner des précisions techniques sur vos solutions ?

J. C. : Le choix de Max n’est pas le fruit du hasard, mais d’un nombre conséquent d’essais. Le cahier des charges d’un robot dédié au cinéma est beaucoup plus strict que pour l’industrie, où de légères oscillations dans les trajectoires et de petites vibrations dans un arrêt ne sont pas gênantes : elles sont rédhibitoires pour le cinéma. Aujourd’hui, nous disposons d’un robot aux qualités mécaniques exceptionnelles capable d’arrêts brusques sans vibrations et de trajectoires parfaitement rectilignes, permettant, par exemple, le suivi parfait d’une goutte d’eau sans aucune oscillation. Et cela n’est pas forcément le cas de tous les robots cinéma sur le marché. De plus, Max est le seul robot dont la cinématique autorise un pan et un tilt sur 360°.

 

M. : Comment avez-vous pu disposer de différents robots pour les tester ?

J. C. : En tant qu’intégrateur pour la marque japonaise Fanuc, un des leaders mondiaux de la robotique, Franck bénéficie de relations très privilégiées et d’un accès à l’ensemble de leurs robots pour réaliser des essais. Nous avons défini un cahier des charges d’essais avec des trajectoires programmées : nous filmions le robot équipé d’une caméra à son extrémité pour analyser la propreté de la trajectoire et des arrêts.

 

M. : Combien de temps avez-vous dédié aux tests ?

J. C. : Les tests se sont déroulés sur deux mois ; nous avions prévu cette étape dans la création de l’entreprise. J’avais « la chance » à l’époque de m’être cassé le genou et de ne pas être opérationnel pour les tournages, j’ai ainsi pu me consacrer entièrement aux essais qui se sont déroulés dans les locaux de l’importateur de Fanuc à Lisses non loin d’ici. Ces locaux servent à la mise en route et aux tests des robots préalablement à l’expédition chez les clients.

 

M. : Comment pilotez-vous les robots ?

J. C. : On utilise un « Teach », un clavier muni d’un écran permettant la programmation du robot. Max déplace la caméra à différents points de l’espace qui définissent une trajectoire, comme des points sur une courbe de Bézier. On peut ensuite programmer un lissage de la courbe pour fluidifier les mouvements. Nous avons adapté les techniques industrielles à nos besoins avec des programmations spécifiques et des modifications mécaniques à partir d’une base existante.

 

M. : Peux-tu nous donner des précisions sur la programmation des robots ?

J. C. : La programmation se fait dans un langage spécifique complètement maîtrisé par les équipes d’IziTeach qui forment des techniciens pour l’industrie automobile. L’accès à toutes les mises à jour et l’appui technique du fabricant sont un atout majeur. Au niveau conception nous disposons également de toutes les machines d’usinage pour réaliser des interfaces pour le robot, la caméra et le plateau tournant. Nous avons fabriqué le plateau tournant et dessiné les rails de travelling. En complément de la tournette et du travelling, nous disposons de moteurs pour préparer d’autres animations en parallèle.

Aujourd’hui, nous sommes équipés de cartes pour commander le départ de 128 effets spéciaux et nous pouvons rajouter des cartes de sortie si besoin. Ces cartes agissent comme des interrupteurs qui à un moment donné de la trajectoire pilotent des effets spéciaux : des explosions peuvent être synchronisées à la retombée d’une goutte d’eau par exemple : on peut en effet également recevoir des informations. On peut démarrer une trajectoire du robot via un contact électrique externe : par exemple le passage d’une bille au travers d’une cellule, pour ensuite initier le suivi de la bille.

 

M. : Comment s’organise le travail avec vos clients ? Qui vous contacte ?

J. C. : C’est assez variable, la demande peut venir du réalisateur, du chef opérateur ou de la production qui va nous soumettre ses besoins, ou nous fournir un story-board. Les tournages simples se passent de préparations spécifiques, et sur des tournages plus complexes des essais sont organisés dans notre local : essais d’explosion et de synchronisation, par exemple.

 

M. : Quel est le champ de ce que vous pouvez proposer ?

J. C. : On dispose de deux modèles de plateaux tournants, un pour les tout petits objets (entre quelques centimètres et 50 cm de diamètre) et un modèle plus conséquent pour faire tourner des humains ou des voitures par exemple, avec la possibilité d’adapter des plateaux entre 1,20 m et 4,50 m. Avec ce deuxième modèle, on peut synchroniser la rotation d’une voiture avec les trajectoires du robot.

À l’occasion du Micro Salon 2018, nous avions installé un vélo sur le plateau tournant, la caméra se déplaçait à haute vitesse synchronisée avec les mouvements du vélo. Si on positionne une voiture sur un plateau tournant, il est possible de débuter le mouvement de caméra dans la voiture, la faire sortir pendant que la voiture tourne, suivre les lignes de carrosserie et rentrer par une autre fenêtre de manière absolument sûre et répétable.

 

M. : Peut-on parler de vos projets réels ?

J. C. : Ils sont multiples ; nous avons mené notamment des projets dans la cosmétique, dans le « food », et dans le sport. Pour Décathlon, nous avons utilisé le Max pour suivre une reprise de volée ou pour Peugeot la raquette de Djokovic filmée en « high-speed ». Pour ce type de prestation, notre robot peut se déplacer à 4 m/s Pour la cosmétique et le « food », nous travaillons souvent en motion control et en macro.

Nous avons également travaillé sur de nombreux clips pour lesquels nous arrivons à adapter notre budget. Nos tarifs restent abordables : en comprenant l’opérateur et le transport, nous facturons une journée de travail aux environs de 5 000 €. Nous concédons de gros efforts pour le marché du clip qui ne dispose pas des mêmes budgets que la pub.

 

M. : Quel est le temps nécessaire à la préparation et à la programmation du robot sur un tournage ?

J. C. : Il est à peu près similaire au temps d’installation d’une grue de cinéma. Nous sommes opérationnels PAT (Prêt à tourner) en moins d’une heure et la programmation de la trajectoire prend quelques minutes. La programmation du suivi de la mise au point le long de la trajectoire est l’opération la plus consommatrice de temps, surtout en high speed où le suivi de points doit être extrêmement précis sur toute la trajectoire. Mais cela reste tout à fait raisonnable, les technologies ont très fortement évolué lorsque l’on se rappelle des mauvais souvenirs sur les tournages en motion control il y a une vingtaine d’années où un temps phénoménal était perdu pour la programmation des trajectoires.

Le robot est équipé de son propre moteur de mise au point, de zoom et de diaph. Les systèmes classiques et les opérateurs seraient incapables de suivre la vitesse du Max, pouvant passer en une seconde d’une position à ras de l’objet à un éloignement de quatre mètres. Notre système de mise au point développé en interne est asservi au robot ; il nous permet par exemple des effets « transtrav » parfaitement maîtrisés.

Nous sommes d’ailleurs en cours de développement d’un système pseudo autofocus qui prendra en compte la distance de l’objet à la caméra et calculera en temps réel la variation de point lors du déplacement après apprentissage de la courbe de mise au point de l’optique. En faisant le point pour la première fois, on va connaître la distance du plan filmé à l’objet et quand le robot se déplacera, on pourra effectuer la mise au point en temps réel, évitant la programmation de valeurs de points intermédiaires. Ce projet, qui nous apportera un gain de temps et de précision dans la mise au point, est en cours de développement avec Moovix, un partenaire français basé dans l’Oise avec qui nous travaillons beaucoup. Nous avons sollicité le soutien du CNC pour ce projet.

 

M. : Peux-tu nous donner des précisions sur Max ?

J. C. : Notre robot est piloté par six moteurs : six axes qui autorisent tous les degrés de liberté. L’axe 1 c’est la rotation sur sa base ; l’axe 2 correspond au premier bras, suivi du second pour l’axe 3, et au bout un poignet avec trois axes (4, 5 et 6) : la caméra peut ainsi être positionnée dans n’importe quel point de l’espace dans l’enveloppe du robot, une sphère d’environ quatre mètres de diamètre.

Max est toujours exploité par un de nos techniciens ; il nécessite un certain nombre de mesures de sécurité, avec un déplacement de 4 m/s il ne faut pas faire n’importe quoi, les accélérations sont vraiment violentes : imaginez une table de quatre mètres parcourue par le robot en moins d’une seconde ; ça peut te mettre une claque et être très méchant, il faut prendre des précautions.

 

M. : Max est-il votre seul robot ?

J. C. : Nous avons également Anima, un robot dédié à la photo d’animation en stop motion. Contrairement à Max, il n’est pas très fluide dans ses déplacements, mais suffisamment précis en termes de positionnement. Uniquement destiné au stop-motion, Anima se déplace avant de déclencher une photo.

Nous disposons également d’un troisième système que nous avons présenté au Micro Salon de l’AFC : une station de prises de vue photo ou vidéo automatisées pour le e-commerce. C’est un partenariat avec Canon.

Au dernier Micro Salon, on a présenté un système synchronisé avec deux robots, le Max sur rail de travelling et le robot de Moovix, robot d’un autre constructeur. On travaille très souvent ensemble et on prépare des projets complexes avec leur robot de compétence équivalente à notre Max. Grâce à notre proximité avec le fabricant Fanuc, on peut proposer des solutions encore plus complexes avec dix robots ou plus.

 

M. : Peux-tu nous détailler les possibilités d’Anima ?

J. C. : C’est un nouveau marché que nous sommes en train de développer. Avec Anima, nous avons filmé des animations de figurines ou d’objets. Complètement compatible et interfaçable avec Dragon Frame (le logiciel utilisé par tous les studios d’animation en stop motion), celui-ci nous permet de piloter des effets extérieurs, la lumière et le point. Nous pouvons également ajouter au set des petits plateaux tournants et un petit travelling.

Le système de commercialisation est adapté, Anima peut être proposé en location pendant une semaine ou un mois, à partir du moment où un technicien maîtrise Dragon Frame et le robot, c’est vraiment très facile d’accès.

 

M. : Et le système pour le e-commerce ?

J. C. : Il se nomme Studiorobot. C’est une station automatisée dédiée principalement à la réalisation de packshots automatisés pour le e-commerce à gros débit (Amazon, vente-privée, etc.). Avec une très rapide formation, le robot est accessible à n’importe quel opérateur non photographe ; le système est autonome dans la gestion de la lumière et de la focale. Nous avons quasiment vendu une station et une seconde est visible au show-room de Canon. L’origine du projet vient de Canon, qui cherchait à disposer de ce type de produit dans son catalogue ; nous l’avons développé à sa demande.

 

M. : C’est un système que vous proposez par l’intermédiaire de Canon ?

J. C. : En fait c’est l’association de trois sociétés : Canon, CineMotionLab et Grand Shooting, société spécialisée dans la gestion et l’archivage des données photos. Nous proposons ensemble cette solution clé en main. La station de base équipée d’un plateau tournant fait 800 mm de large et il est possible de développer des stations plus conséquentes sur demande. L’opérateur pose l’objet au centre du plateau, le robot va alors créer une suite d’images en tournant autour du centre réel de l’objet pour générer un fichier QuickTime en 360 ou d’autres exports. Le robot est équipé de boîtiers haut de gamme reflex ou non. Présentée lors du salon trafic dédié au e-commerce, la station a reçu un très bon accueil et nous attendons des débouchés très probables.

 

M. : As-tu une équipe avec laquelle tu travailles ?

J. C. : Oui, nous travaillons avec trois trajectoiristes, suivant leurs disponibilités. Le terme trajectoiriste vient de l’industrie : c’est la personne en charge de la programmation et l’optimisation des trajectoires, c’est un métier. Aujourd’hui, ce sont des gens qui viennent de la robotique, qui maîtrisent parfaitement toutes les caractéristiques et les possibilités du robot et qui ont acquis des compétences en prise de vue. Ils restent sous la direction du chef opérateur qui conserve la maîtrise du cadre et de la lumière.

Ensuite, pour le transport du matériel et les déplacements sur le set, nous utilisons un transpalette. Sur les tournages, avec plusieurs sets, le passage d’un set à l’autre prend quelques minutes. Nous avons également un camion de 19 tonnes avec un hayon lourd et un chariot élévateur pour manipuler les rails de travelling. Nous sommes totalement autonomes sur la logistique.

 

M. : Jean, nous te laissons le mot de la fin !

J. C. : Nous proposons avec CineMotionLab une très large gamme, depuis des produits dédiés au e-commerce à des prestations pour le cinéma et l’évènementiel. Au salon Heavent, nous avons proposé une démonstration en partenariat avec la société Modulo-Pi (qui a géré notamment 130 vidéoprojecteurs avec 35 média serveurs sur l’évènement Atelier des lumières). Ils généraient une vidéo en temps réel en fonction des données fournies par le robot. Avec cette technologie il est possible d’animer par exemple une bouteille sur un écran ; en bougeant la bouteille avec le bras on peut faire couler le liquide dans le verre sur un second écran. C’est à ma connaissance une première d’avoir recréé une vidéo en temps réel à partir de la position d’un robot animé. On cible des grandes sociétés qui veulent préparer des évènements, des salons ou des séminaires. Vous pouvez retrouver les photos et vidéos de tournage sur la page Facebook : Max Cinemotion Lab. 

 

PRÉSENTATION DE LA SOCIÉTÉ PROPULSION

Propulsion est née au début des années 2000 avec Taxi 2, suivi de Taxi 3, Transporteurs et Michel Vaillant. C’est une société spécialisée dans la machinerie et les caméras embarquées sur des voitures, des hélicoptères et des bateaux pour le cinéma, la pub, le documentaire et l’institutionnel. Ils ont été récemment en charge des caméras embarquées sur le tournage du dernier Mission impossible en France et en Nouvelle-Zélande.

« Spécialistes du mouton à cinq pattes » ils sont capables, grâce à leurs propres moyens d’usinage (tours, fraiseuses, découpes plasma), de réaliser à peu près n’importe quel système mécanique automatisé qu’ils adaptent sur les véhicules de tournage, que ce soit une moto pour Michelin, des Formule 1 ou des voitures des 24 Heures du Mans.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.24/26. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.