Les outils du live… Régie Fly, cars régies ou remote production ?

Les directs, qu’ils concernent le sport ou le spectacle vivant, n’ont jamais cessé d’évoluer en même temps que la technologie. Grâce à l’IP et à de nouveaux matériels, mais aussi à cause de budgets revus à la baisse, les producteurs et prestataires s’adaptent et proposent toute une panoplie de solutions.
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Coupe du monde de rugby, Coupe d’Europe de foot, mais aussi Jeux olympiques de Tokyo, voilà quelques grandes affiches sportives qui s’annoncent dans les mois à venir. En plus de ces compétitions majeures et planétaires, il existe de très nombreux évènements sportifs (ou culturels) moins médiatiques qui se déroulent chaque semaine. Ces derniers bénéficient également de couvertures télé (ou de streaming) dans des proportions moins importantes et avec des budgets plus contraints.

Aux côtés des géants que sont AMP Visual TV et Euromedia, que nous avons longuement interrogés pour constituer cet article, il existe des sociétés de tailles plus modestes pour lesquelles le marché de ces live est au cœur de leur activité. Nous en avons sollicité quelques-unes afin d’étudier les moyens qu’elles utilisent aujourd’hui.

 

Un nouveau marché émergent

Longtemps dédié aux seconds couteaux et aux plus petits acteurs de la production et de la prestation audiovisuelle, le marché des sports et des évènements un peu confidentiels intéresse aujourd’hui les mastodontes. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord les budgets des grands évènements ont souvent été revus à la baisse au cours de ces cinq dernières années. Il faut donc aller chercher des prestations complémentaires afin de maintenir un certain niveau de chiffre d’affaires, et donc aller finalement sur un secteur auparavant jugé trop peu lucratif. À cela, s’ajoutent deux autres facteurs déterminants : la nouvelle panoplie technique permet dorénavant de faire de la qualité à moindre coût, et surtout, dans ce secteur la demande a explosé.

En effet, avec la création de nombreuses chaînes sportives, il a fallu remplir les grilles de programmes avec des compétitions dont les droits sont bien souvent cédés gracieusement par les fédérations (contrairement au football ou au tennis pour lesquels ces montants sont devenus exorbitants). De plus, plus aucune compétition d’intérêt ne peut se passer d’un direct, au moins sur Internet. D’une part pour répondre aux demandes des passionnés, mais aussi afin de contenter les sponsors et autres partenaires qui ont besoin d’une visibilité accrue.

Si une qualité moyenne pouvait répondre en partie à ces besoins il y a encore peu de temps, la volonté est dorénavant d’obtenir des captations qui ressemblent à ce qui se fait de mieux dans le sport afin d’attirer de nouveaux spectateurs pour la discipline. Bref, comme on le pressentait depuis quelques temps (avec l’arrivée du très haut débit), la conjoncture est favorable pour que le marché du live se développe de manière relativement conséquente.

 

Ne m’appelez plus low cost

La régie Fly est particulièrement exploitée sur ce secteur. « Nous travaillons avec deux types de régies pour ces opérations. Une articulée autour d’un mélangeur Blackmagic Atem Studio Pro pour les productions se limitant à six caméras, et une seconde architecturée autour d’un mélangeur Panasonic avec une mosaïque d’images pour des réalisations plus conséquentes. C’est avec cette dernière que nous assurons régulièrement la réalisation du signal international de compétitions. Pour être compatible avec les budgets de nos clients et assurer une qualité broadcast de nos productions, il faut faire preuve d’inventivité. Régulièrement, nous mixons les moyens techniques et humains de VNProd avec ceux de Master Films. Les deux sociétés ont appris à collaborer étroitement ensemble sous la bannière Sportside », explique Cyril Delorme de VNProd, société de production spécialisée dans le sport.

En fonction des environnements, les régies sont installées dans une salle du stade ou encore implantées dans des véhicules de tailles adaptées. Manganelli, dont le siège se situe à proximité de Lille, connaît aussi très bien ce secteur.

« Il y a six ans, nous avons créé un car intermédiaire à ce qui existait sur le marché. Avec un poids de 19 tonnes, il venait déjà répondre à une demande intermédiaire qui se situait entre les régies mobiles et les cars imposants des autres prestataires. Notre offre de régies mobiles a elle aussi véritablement évolué ces derniers mois pour prendre de nouvelles formes. Elles bénéficient d’outils qui permettent de gérer à moindres coûts les ralentis ou encore les habillages, qui sont des éléments essentiels dans le domaine du sport », détaille Jean-François Petit, en charge de Manganelli Events.

Chez AMP Visual TV ou encore Euromedia, ce sont des marques ou des départements qui ont été créés spécifiquement pour ce marché « émergent ». On parle alors de production simplifiée. Pour Gilles Sallé, fondateur et PDG d’AMP Visual TV, la définition de prod simplifiée est claire : « Avec notre marque Ixi Live, nous proposons toute une panoplie d’outils modernes spécifiquement pensés pour répondre aux besoins des organisateurs et diffuseurs. Il n’y a pas vraiment de limitation de caméras, même si au-delà de huit sources on commence à être dans une logique technique un peu plus lourde. L’objectif est plutôt de clarifier le nombre de services proposés avec des opérateurs poly-compétents ».

La gamme Ixi Live repose sur des véhicules légers pourvus de régies Vibox, une machine qui peut gérer de huit à seize sources (caméras et ralentis) avec un, deux ou trois écrans tactiles. Ces unités disposent également de solutions de transmissions satellites ou IP installées sur le toit. Pour répondre à des besoins internationaux (toujours dans des budgets rationalisés) des régies Fly baptisées IATA (allusion à la norme de transport aérien) ont été conçues afin de voyager plus aisément avec des dimensions réduites qui limitent autant que possible le coût du fret.

Chez Euromedia aussi, on a appréhendé l’évolution de ce marché. « La multiplication des diffuseurs et la consommation croissante du sport à travers les plates-formes digitales incitent les fédérations et les ligues à produire plus de contenus en direct. Ces nouvelles productions, doivent s’adapter à une économie différente des divisions premiums. Les équipes d’Euromedia France avec leur directeur technique Gaël Tanguy ont développé des véhicules spécifiques », confirme François-Charles Bideaux codirecteur d’Euromedia Group.

Construits également autour de la solution de production Vibox, ces véhicules sont adaptés à des configurations allant jusqu’à six caméras. Là encore, ces petits cars sont communément exploités par une équipe restreinte de quatre personnes.

 

Des cars-régie encore indispensables, mais évolutifs

Pour François-Charles Bideaux toujours, le car régie de grande envergure a encore tout son sens, cette fois pour les compétitions internationales majeures : « Nous avons développé pour les productions over sea des régies Fly particulièrement adaptées pour se déplacer aisément partout dans le monde. Elles bénéficient de tout le nécessaire pour produire un signal et des services de qualité. Mais le car a encore un rôle essentiel à jouer sur de nombreux évènements, comme le football, le rugby et bien d’autres disciplines. À la prochaine coupe d’Europe de foot le groupe exploitera des camions dans six des douze sites de la compétition. Avec des productions de vingt à trente caméras et des signaux UHD à faire transiter dans des formats non compressés, la réponse est forcément dans une configuration premium », poursuit-il.

La flotte du groupe continue son évolution. Au cours de l’année écoulée, quatre nouvelles unités 4K ont émergé, avec des exploitations, notamment en Italie sur le Calcio ou en France pour le Top 14. Deux autres cars sont en cours d’élaboration (ou d’évolution) pour la Coupe d’Europe de Foot. Mais pour ces cars, comme pour ceux d’AMP Visual TV, la conception est pensée pour être bien plus flexible que par le passé. L’IP est omniprésente, et surtout la partie data center est devenue modulable, évolutive et mobile afin de pouvoir être exploitée indépendamment du car.

Gilles Sallé complète : « Chez AMP Visual TV, nous avons une flotte de cars qui va se maintenir autour d’une trentaine d’unités. Six ont évolué vers l’UHD, ou ont été conçus pour ce format. Ils prennent également en considération les nouvelles exigences de multiservices du broadcast. Les camions accompagnateurs, qui transportent les caméras notamment, ont eux aussi été adaptés pour pouvoir être utilisés intelligemment et pouvoir servir de zones déportées sur sites pour de la remote production. »

 

Remote production, où en sommes-nous ?

Les régies déportées, voilà qui n’est plus tout à fait nouveau ; on se souvient déjà des plateaux de France Télévisions tournés en direct de Londres durant les JO de 2012, mais réalisés de Paris. Depuis, la remote production n’a jamais cessé d’évoluer, même si elle demeure malgré tout un mode de travail encore émergent. Pour l’avenir, qu’il soit à court ou à moyen terme, ce mode opératoire est de toute façon assuré.

« Pour que la remote production ait un sens économique, il faut d’abord qu’elle puisse être mutualisée avec la réalisation de plusieurs retransmissions dans la même journée. Il est aussi indispensable qu’elle propose tout un ensemble de services dédiés aux datas et aux contenus, pour les diffuseurs traditionnels, les plates-formes numériques et les organisateurs eux-mêmes », avance le PDG d’AMP Visual TV.

Pour augmenter le niveau d’exploitation, le media center, spécifiquement conçu par la société dans le 15e arrondissement de Paris, est relié en fibre noire avec la quasi totalité des plateaux de sa filiale Studios de France. Pour le sport, ASO, qui gère la production des Ironman européens, fait appel à ses services pour assurer les directs Facebook de courses filmés sur site (par une équipe de cadreurs VNProd) avec des caméras ENG Panasonic connectées en 4G avec des systèmes TVU.

En France, si l’on compare à d’autres pays voisins, la remote est moins avancée. Pour Gilles Sallé cela s’explique principalement par le fait que le besoin est moindre car des agences locales équipées de cars sont réparties un peu partout sur le territoire. De plus, le réseau des intermittents est lui aussi plutôt bien réparti en régions. La nécessité de passer en remote production se ferait donc moins ressentir qu’ailleurs en Europe.

« Avec notre media center, nous habillons déjà les directs de très nombreux matchs de foot africains ; c’est aussi le type de service que nous proposons. Nous travaillons également de plus en plus en home production, comme par exemple sur le Festival de Cannes ou les César, où notre équipe de prise de vue se rend sur site, mais où les signaux sont envoyés directement dans la régie de production de Canal+ à Boulogne », poursuit le natif des Sables d’Olonne.

Au sein d’Euromedia Groupe, on exploite aussi la remote production régulièrement, et cela depuis un certain temps, au niveau européen. « Pour une émission régulière de direct tournée à Amsterdam, nous effectuons la réalisation depuis notre media center situé à quelques dizaines de kilomètres de là, dans une ville voisine. L’exigence environnementale est respectée, avec moins CO2 émis en transport et une facilité de travail dans un centre historique peu adapté aux poids lourds. Ce sont aussi des atouts intéressants en faveur de la remote », résume François-Charles Bideaux.

Pour le moment, la remote production demeure l’apanage des grands prestataires tant l’investissement est conséquent. Là encore, l’évolution technique et les coûts liés au matériel évolueront avec le temps. À terme, des structures plus modestes pourront peut-être elles aussi construire et gérer leurs propres media centers. Ces derniers disposeront certainement de moins de services ajoutés que ceux proposés par les « grands », mais ces « petits » acteurs créeront alors une sorte de remote production simplifiée. N’oublions pas que ce sont eux qui ont initié les véhicules légers et polyvalents pour la captation et le direct à budgets maîtrisés. Nous n’en sommes certes pas encore là, mais sait-on jamais, cela pourrait peut-être arriver plus vite que l’on ne l’imagine.  

 

Quelques exemples de sports produits en simplifiés

Le handball, sport très important pour beIN Sports, est mis en image avec des véhicules légers d’Euromedia comme le F188. La pro D2 de rugby, jusqu’alors diffusée sur Eurosport (il y a eu un nouvel appel d’offres), est filmée par les Ixi Live d’AMP Visual TV. Les compétitions de tir à l’arc ainsi que les rencontres internationales et le championnat Pro de tennis de table qui se déroulent en France (diffusés sur la chaîne Qatarie) sont produits avec les moyens éditoriaux et techniques cumulés de VNProd et Master Films. Manganelli, avec son car intermédiaire de 19 tonnes, signe le direct de l’Enduro du Touquet pour plusieurs repreneurs, dont France 3 Régions et L’Équipe.

Les exemples sont encore nombreux, ils prouvent qu’avec les moyens techniques actuels il est largement possible de fournir un signal de qualité pour la télévision et le streaming à des coûts moindres. Outre le matériel, c’est bien le savoir-faire d’équipes expérimentées, accompagnées par des « techniciens poly-compétents » (pour reprendre l’expression de Gilles Sallé), qui sont la clé de la réussite de ces productions.

« Même si les solutions techniques se simplifient et deviennent moins lourdes, pas question de s’improviser prestataire ou producteur audiovisuel. Le métier aura toujours besoin de personnels formés et aguerris aux spécificités de la profession. Et ce qui est vrai pour la technique l’est aussi pour l’éditorial », prévient Jean-François Petit de Manganelli.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, p.16/18. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.