Une étude de la CST sur les projecteurs à Led

En 2014, deux chefs-opérateurs, Gilles Arnaud et Benoît Gueudet, avaient publié une étude sur les projecteurs à Led dans le cadre du département image de la CST, aidés par Jonas Gayraud et Charles-Hubert Morin. Cette étude ayant remporté un grand succès, les auteurs ont voulu la prolonger avec des matériels récents, tant côté projecteurs qu’appareils de mesure. La publication de cet opus 2016 a été suivie d’une masterclass sur les nouvelles méthodes de mesure de la colorimétrie sur le plateau.*
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Nouvelles générations de projecteurs Led

L’étude CST 2016 porte sur 25 projecteurs à Led, un projecteur à incandescence, un KinoFlo et un Joker HMI. Elle est signée Benoît Gueudet, Jacques Gaudin, Yann Cainjo et Gilles Arnaud, avec l’aide efficace de François Roger, directeur commercial de Ciné Lumières de Paris. Comme pour la première étude, le lecteur trouvera pour chaque projecteur les performances photométriques, les performances colorimétriques, les spécifications techniques et ergonomiques.

 

Des indices à profusion : auquel se fier ?

Les ajouts concernent principalement les indices de rendu des couleurs. L’étude rappelle utilement que seules les sources à incandescence – le soleil et les lampes à filament incandescent – émettent un spectre continu. On peut donc parler strictement de température de couleur en rapport avec la théorie du corps noir, pilier de la colorimétrie. Pour les sources à spectre discontinu, on cherche la température de couleur équivalente pour l’œil. On emploie alors les termes de température de couleur proximale, ou corrélée, CCT (correlated color temperature).

Les Led génèrent un spectre discontinu, comme les tubes fluorescents et les lampes à décharge, communément appelées HMI. Différents indices de rendu des couleurs (IRC) sont fondés sur l’incandescence et son spectre parfait, car continu. De ce fait, la valeur 100 est l’optimum à atteindre. C’est le cas de cinq indices indiqués dans l’étude, l’IRC 8, l’IRC 15, le TLCI, le CQS, et le Rf.

Seul utilisé auparavant, l’IRC 8 est basé sur huit couleurs déterminées. L’IRC 15 est étendu à 15 couleurs. Le TLCI (Television Lighting Consistency Index) mesure les 24 couleurs de la mire Gretag-Macbeth ColorChecker. Ces trois indices sont assez bien adaptés à l’usage en cinéma et télévision. Le CQS (Color Quality Scale) est conçu plutôt pour les besoins de l’industrie et du commerce. Le Rf (fidelity index) compare 99 couleurs, à différents degrés de saturation, réparties sur tout le spectre.

L’étude s’est intéressée à deux indices supplémentaires, le GAI, (gamut area index) et le Rg, (gamut index). Ces deux indices « n’évaluent pas spécifiquement la fidélité des couleurs, mais leur saturation et l’espace colorimétrique reproductible par la lumière mesurée. » Dans la pratique, ils peuvent être supérieurs à 100, ce qui signifie, par exemple pour le GAI, que la saturation d’une couleur est amplifiée par la source de lumière utilisée.

Le Rg mesure la différence de saturation de 16 couleurs par rapport à la source de référence. L’étude 2016 indique pour chaque projecteur l’IRC 8, l’IRC 15, le TLCI, le CQS, ainsi que deux graphes montrant les rapports Rg/Rf et GAI/IRC.

Ainsi, le GAI et le Rg complètent l’information en indiquant la saturation des couleurs. Certaines sources saturent exagérément les couleurs, d’autres au contraire diminuent cette saturation. Le GAI prend pour référence le 5 600K, ce qui explique la pauvreté des résultats avec une source à 3 200K. Cela n’est pas le cas avec le Rg.

L’IRC8 est le seul indice normalisé par la Commission internationale de l’éclairage (CIE) aujourd’hui, « mais il s’avère insuffisant pour notre usage en audiovisuel. Plusieurs groupements indépendants ont tenté de créer d’autres indices (TLCI 2012, CQS, Rf) pour améliorer la fidélité du chiffre dans son rapport à la qualité colorimétrique de la source lumineuse. Mais quel que soit l’indice, il paraît difficile d’atteindre cet objectif avec un seul chiffre », constate Benoît Gueudet.

Aujourd’hui, le couple Rg/Rf semble être la valeur la plus intéressante à exploiter pour qualifier la qualité colorimétrique d’une source. Cette valeur est récente, ce qui explique que seul le spectrophotomètre UPRTek donne cette valeur au travers du logiciel USpectrum.

 

Des appareils de mesure adaptés

En 2016, les instruments de mesures sont plus nombreux qu’en 2014 et ils ont évolué. Les mesures ont été faites avec quatre spectrophotomètres : l’UPRtek MK350N+ et le Sekonic C700 – utilisables sur un plateau – et deux appareils de laboratoire, le Minolta CL500-A et le Specbos 1211.

« Nous avons fait tenir les valeurs mesurées sur une page pour en faciliter la lecture par les opérateurs », explique Benoît Gueudet. On trouve aussi une photo du projecteur pour l’identifier et une photo de l’ombre portée d’une main pour détecter les projecteurs qui génèrent des ombres multiples. Détail de procédure, la main est maintenant une forme découpée pour plus de rigueur dans son positionnement entre le projecteur et le fond.

Globalement, les projecteurs à Led ont évolué vers une meilleure colorimétrie et un meilleur rendement lumineux. Du fait de la technologie des Led, les projecteurs focalisables sont moins puissants que les incandescences ou HMI. De plus, ils sont souvent munis d’un ventilateur, toujours bruyant sur un plateau. Si les Led n’émettent pas d’infrarouge dans leur faisceau lumineux, les composants chauffent et doivent être refroidis. Le refroidissement passif (radiateur, structure du projecteur…) est efficace dans une ambiance où les composants sont répartis sur une grande surface. Sur un projecteur focalisable, les Led sont concentrées sur une petite surface pour la ponctualité de l’émission lumineuse. Le ventilateur est alors quasi inévitable.

Si les Led sont réputées pour leur durée de vie longue, la première cause de vieillissement, en tant que composants électroniques, est la chaleur excessive. Certains fabricants incluent une protection électronique des composants en fonction de la température. C’est pourquoi l’étude conseille « … une période de chauffe d’environ 20 minutes. Durant ces 20 minutes, il peut y avoir de légères variations de colorimétrie ou des variations de niveau sonore (mise en route d’un ventilateur). Sur certains modèles, l’intensité lumineuse diminue sans que l’utilisateur ne s’en rende compte lorsque le projecteur monte à une certaine température. Nous avons donc systématiquement allumé les projecteurs une trentaine de minutes avant de les mesurer. »


L’équipe s’est penchée sur la réputation des Led à émettre des ultraviolets. « Nous avons mesuré cette émission UV à l’aide d’un outil spécifique, le Specbos 1211, et nous n’avons trouvé aucune émission d’UV dans les Led, ou très peu, y compris pour les modèles à phosphore déporté. Moins d’UV en tout cas que les lampes HMI ou MSR, les tubes fluos et même que les lampes à incandescence. »

Parmi les différentes technologies de Led mises en œuvre pour la prise de vues, la précédente étude avait montré le faible IRC des systèmes qui utilisaient des triplets de Led rouges, vertes et bleues. Aujourd’hui, l’un des meilleurs projecteurs est le récent Skypanel S60C de Arri, conçu autour d’un réseau de quatre Led R, V, B et blanche.

« À TSF, nous en avons 80 », explique François Roger, qui souligne l’importance d’une accessoirisation complète : chimera, louvers, plaques de diffusion (dont une carte holographique qui resserre le faisceau), nids d’abeille… Le pourcentage de location en Led est aujourd’hui de 30 à 40 %. En conséquence, la gestion de l’énergie sur le plateau évolue, ainsi que le métier de groupman qui va tendre vers une notion plus large de gestion de l’énergie, incluant les batteries.

 

Masterclass spectrophotomètres chez TSF

En même temps que la parution de l’étude, les auteurs ont organisé, avec Danys Bruyère, DGA Exploitation & Technologies de TSF, et François Roger une masterclass sur l’utilisation des spectrophotomètres par les opérateurs. Une soixantaine de personnes ont investi le Cercle rouge de TSF un samedi matin !

Après les rappels théoriques utiles, Benoît Gueudet a précisé le principe de fonctionnement d’un thermocolorimètre classique : la mesure est donnée par deux cellules photoélectriques, sensibles l’une au rouge l’autre au bleu, ce qui est parfait pour les sources à spectre continu, mais inadapté pour les spectres discontinus.

De nouveaux appareils sont apparus, conçus autour d’un capteur Cmos linéaire. Ils donnent tous la distribution spectrale et l’IRC8. Par contre, tous ne donnent pas les indices TLCI, CQS, et Rf. Aujourd’hui, seul l’UPRTek fournit toutes ces valeurs. Très utile pour évaluer les dominantes vert ou magenta, l’affichage de la place de la source dans l’espace colorimétrique reste réservé à quelques spectrophotomètres.

Très riche, la matinée a aussi rappelé quelques principes de base, comme le mélange des sources de lumière qui reste à éviter ou l’importance de l’éclairage de la cabine de maquillage : il faut utiliser le même type de source que la lumière du plateau !

 

Liens utiles

http://www.cst.fr/publications-et-documentation/etudes-et-compte-rendus/

http://www.afcinema.com/La-Master-Class-Spectrophotometres-au-Cercle-Rouge-en-PDF.html

 

* Cet article est paru, pour la première fois, dans Mediakwest #17. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.