Plateaux de tournage, vers la création d’écosystèmes

L’offre de plateaux de tournage en France souffre d’un double mal. Pour certains professionnels, elle est trop importante en regard du taux d’occupation. Pour d’autres, c’est une inadaptation de l’offre qui handicape son développement. Avec les réformes des crédits d’impôt – nationales et internationales – beaucoup espèrent une nouvelle bouffée d’air frais pour des infrastructures indispensables mais non rentables. Non sans repenser, dans le même temps, leur copie pour créer de véritables écosystèmes de services intégrés.
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« Les studios de tournage en France proposent aujourd’hui une surface de quasiment 100 000 m2 disponible à destination du cinéma et de l’audiovisuel », résume Stéphane Bedin, délégué général adjoint de la Ficam.

Selon des chiffres de l’Observatoire, qui commencent à dater mais donnent tout de même un bon éclairage de la situation, « en 2013, en rapportant la totalité des plateaux existants au nombre de semaines de tournage sur les dix dernières années, on obtenait un taux de remplissage de 40 % seulement. Aujourd’hui, ce taux d’occupation moyen est meilleur, mais sans dépasser les 50 %. » L’offre de studios en France serait donc sans doute largement « suffisante » si l’on en croit les chiffres de l’Observatoire.

Sur une carte, trois grandes régions se démarquent : l’Île-de-France, en premier lieu, qui concentre 70 % des semaines de tournage en studio selon la Ficam, puis Provence-Alpes-Côte-d’Azur et, enfin, la nouvelle grande région constituée de l’Aquitaine, du Poitou-Charentes et du Limousin. Pour cette dernière, il s’agit moins d’une forte activité de tournages en plateaux que d’une offre bien répartie entre les studios Transpasets à Angoulême et les deux antennes de TSF à Bègles et à La Rochelle. À titre d’exemples, Tranpasets mise plus sur son antenne locale de location de caméras que sur un agenda chargé, tandis que les studios Rochelais, repris par TSF fin 2014, n’affichaient que quelques semaines de location sur les huit premiers mois de 2015…

 

Île-de-France : la pression du foncier

Les récents déboires des Studios de Bry-sur-Marne illustrent bien la pression exercée sur les plateaux franciliens. Pascal Bécu, directeur d’exploitation des Studios de Bry-sur-Marne après la reprise du site par le groupe Transpalux, le résume assez bien : « Avec la constitution du Grand Paris, les terrains des studios sont soumis à une pression immobilière très importante. Si nous devions reconstruire l’équivalent de Bry, aujourd’hui, il faudrait installer le site à 50 km de Paris au moins, pour que ce soit viable en termes de loyers. Le problème est que le prix du marché est trop bas par rapport à celui de l’immobilier ; nous ne sommes donc pas en position de force, même si l’activité redémarre fortement ».

La pression du foncier n’est pas l’apanage de l’Île-de-France. Plus au sud, à Nice, les Studios Riviera, gérés par Euro Média, sont dans le viseur de la métropole. Depuis 2000, les plateaux dits de la « Victorine » sont au cœur de tensions à la fois politiques et économiques. La délégation de service public vient à échéance en novembre 2017 et nul ne l’affirme officiellement, mais tout à porte à croire qu’elle ne serait « pas reconduite en l’état ». Plusieurs pistes ont déjà été avancées ; parmi celles-ci, la métropole Nice-Côte-d’Azur envisagerait d’y accueillir les ateliers du Carnaval de Nice et ainsi créer une synergie entre le savoir-faire des carnavaliers et celui de la filière audiovisuelle azuréenne (1).

Lors d’un conseil municipal de septembre 2014, la question a été ouvertement posée par le conseiller Paul Cuturello : « Va-t-on arrêter les activités parce que vous savez comme moi que le territoire de cette société, situé aux Studios de la Victorine, est assez convoité depuis des décennies pour d’autres choses que du cinéma ». En effet, le terrain de 7 000 m2 suscite de nombreuses convoitises de par, notamment, sa proximité avec le centre ville… Contactée, la mairie a confirmé qu’à l’échéance de la période de délégation de service public – mais pas avant – un bilan sera établi. « Le conseil municipal aura à se prononcer sur les modalités et devenir du site dans les mois à venir. En attendant, les studios tournent très bien, avec beaucoup de clients. »

 

Au Nord, c’est de la fiction

Cantonner la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie à la seule fiction serait non seulement réducteur mais surtout faux. En effet, en 2014, le seul Nord-Pas-de-Calais totalisait 600 jours de tournages, soit une quinzaine de longs métrages, téléfilms et séries TV sur un total de 70 œuvres soutenues.

Au regard de l’offre de plateaux, il faut bien admettre que ce sont les décors naturels qui drainent les productions sur le territoire – au-delà du levier financier en coproduction de Pictanovo. Mais pour ce qui concerne l’offre de studios, la question mérite d’être posée. En effet, la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie dispose déjà de plateaux de tournages avec des fortunes diverses… mais ne s’interdit pour autant pas d’en créer d’autres.

En Picardie, c’est une initiative privée qui a permis l’émergence des Studios Lamy, avec le soutien de la CCI de Picardie. Le site – une ancienne endiverie reconvertie, située à 100 km de la Plaine-Saint-Denis – dispose de cinq studios aux dimensions allant de 265 à 660 m2, auxquels s’ajoutent un atelier de 220 m2, ainsi qu’une zone de stocks déco et accessoires. La location à la journée est comprise entre 350 et 1 190 €/jour, soit un prix de trois à six fois moins élevé qu’en région parisienne. Pour autant, son carnet de commandes alterne clips et courts métrages aux économies pour le moins tendues.

 

Un projet à Arenberg

Plus à l’est, à Tourcoing, les Studios de la Plaine Images se résument…  à un plateau de 500 m2 avec un faible taux d’occupation. Parmi les dernières productions à venir tourner, on peut citer la série Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, produite par Ecazal pour une durée totale de six jours…  le reste du tournage s’effectuant dans une friche de plus grandes dimensions. Le format s’adresse plus à des manifestations publiques qu’à une réelle offre de tournage.

Pour autant, Pictanovo réfléchit actuellement à l’émergence d’une nouvelle offre sur l’ancien site minier de Wallers Arenberg, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2012. « Le site d’Arenberg Creative Mine accueille déjà DeVisu, le laboratoire en design visuel et urbain, et son inauguration en septembre 2015 nous a laissé entrevoir de nombreuses possibilités », résume Malika Aït Gherbi Palmer, directrice de Pictanovo.

Il faut dire que le parrain, Costa Gavras, n’avait pas tari d’éloges : « Arenberg est un formidable outil pour l’audiovisuel, le cinéma, la télévision. Il y a ici des possibilités qui n’existent pas ailleurs en Europe ! » Sont en effet déjà présents une halle d’essais équipée d’un Motion Control, un plateau de télévision équipé en Led avec cinq caméras HD, un studio son et deux salles de projection. Ne manquent donc plus…  que des plateaux !

Le pôle Image croit en la pertinence d’une telle démarche sur ce site d’exception qui allie la haute technicité d’un laboratoire à une offre très « rough » comparable aux nombreuses friches dont sont friandes les productions de série TV. « Sur la région, on accueille souvent des tournages longs comme les Petits Meurtres… qui viennent tourner sur deux périodes pendant 44 jours dans des friches qui leur permettent de créer plusieurs décors en un même lieu et de les conserver sur place entre les deux périodes », souligne Tom Weil, en charge du BAT Nord-Pas-de-Calais.

« Si nous voulons intéresser des tournages de façon structurante, il faut proposer des lieux atypiques, explique la directrice de Pictanovo. L’objectif de l’étude de faisabilité que nous avons commandée va nous permettre de déterminer si, oui ou non, il est pertinent de vouloir offrir sur notre territoire, en plus d’une grande variété de décors naturels, un outil performant et efficace en région sur un site où l’on peut quasiment tout faire ». Si les conclusions, qui seront rendues publiques en février 2016, s’avéraient positives, il y a fort à parier que de nouveaux studios pourraient voir le jour fin 2017 pour une ouverture concrète en 2018. Reste que l’enjeu principal sera le taux d’occupation de ces plateaux.

 (1) : Source : Le journal des entreprises

 

Extrait de notre article relatif aux plateaux de tournage publié en intégralité dans Mediakwest #15. Abonnez-vous à Mediakwest pour recevoir dès leur sortie les articles complets (5 numéros + 1 hors série Guide du Tournage).