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Le défi du studio d’animation Les Films du Poisson Rouge

Studio de développement situé à Angoulême, les Films du Poisson Rouge initient une « nouvelle » manière de produire de l’animation de qualité.
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Leurs outils s’étaient fait remarquer sur le court-métrage 3D Réflexion (réalisateur Yoshimichi Tamura, production PlankToon) au rendu proche d’une illustration à la gouache (Best in Show Award au Siggraph 2012). Sept ans plus tard, les mêmes outils apportent à La Légende de Klaus de Sergio Pablos, un long-métrage 2D sorti en décembre dernier sur Netflix, une facture remarquée tout en rondeurs et lumières enveloppantes.

Ce travail très maîtrisé sur l’image est caractéristique des Films du Poisson Rouge, une « petite » structure ouverte par Catherine Estèves en 2009 à Angoulême dans le cadre du Pôle Image Magelis. Depuis, les Films du Poisson Rouge n’ont jamais dérogé au cap qu’ils s’étaient fixé au départ : mener de front à la fois l’artistique et la technique. Pas de surprise si, dans leur bande démo, cohabitent des courts-métrages d’auteur (Tulkou, Le Bleu du ciel), des pilotes de longs-métrages engagés comme Canaan ou Le Repenti, un film politique, Josep, un projet d’adaptation d’un opéra en réalité virtuelle, L’enfant et les sortilèges… « Nous fonctionnons aux coups de cœur, sans forcément suivre une ligne éditoriale », précise la productrice.

 

Le défi du Poisson Rouge

D’emblée, les Films du Poisson Rouge adoptent un positionnement singulier : « La concurrence est vive dans le milieu de la prestation 2D », souligne Catherine Estèves. « Pour nous différencier des autres studios, nous avons proposé une autre manière d’aborder la fabrication. Nous avons tout de suite mis en avant nos outils en espérant qu’ils apporteraient une plus-value artistique aux projets de nos clients. »

Premier outil à avoir été développé aux Films du Poisson Rouge par Anaël Seghezzi (créateur du logiciel 3D de jeu open source Maratis), MOE (mode of expression), un logiciel de rendu « expressif » permettant d’appliquer très rapidement, sur des animations 2D, 3D ou des prises de vues réelles, un rendu paramétrable par zone à l’aide de textures et de brosses. Testé pour la première fois en production sur le court-métrage Réflexion, il donne à l’image 3D un effet de peinture en plaçant des instances sur la ligne de contour de l’image. Selon leurs formes, l’effet obtenu reproduira un dessin au crayon, à la craie ou à la gouache (etc.).

L’outil d’animation Houdoo, qui facilite l’intervallage entre deux images clés dessinées (gain de temps de l’ordre de 4), apporte également une touche créative : « C’est notre logiciel le plus complexe et complet ; il permet même de faire du compositing. Mais nous pouvons le simplifier, notamment au niveau du lipsynch, ou le modifier en fonction des productions ou à la demande des animateurs. Sur la mise en couleurs par exemple, nous essayons de trouver une autre méthodologie pour gagner encore plus en confort et qualité. » MOE et Houdoo seront utilisés pour le long-métrage La Tortue rouge de Mickael Dudok de Wit.

Enfin, procédant des mêmes briques logicielles que MOE et Houdoo, LAS (light and shadow) constitue un outil en temps réel dédié à la mise en lumière. Points communs à ces trois outils : leur convivialité et rapidité d’apprentissage.

Les premières séries 2D que les Films du Poisson Rouge fabriquent comme Petit creux pour Animalisation (réalisateur Rénato), Les nouvelles aventures de Lassie (Superprod et DQ Entertainment), Kika and Bob (Superprod, Submarine et Wilking the Dog) ou Geronimo Stilton (Superprod et Atlantica Entertainment), ne recourront pas en fait à ces outils et suivront une fabrication « classique ».

En 2015, le studio arrête la fabrication de séries pour la télé pour se consacrer à la coproduction exécutive de courts-métrages, de longs-métrages comme Josep ou de pilotes (Canaan, Le Repenti) ainsi qu’à la production de courts-métrages comme Tulkou (réalisé par Mohamed Fadera et Sami Guellai) suivi, en 2018, du Bleu du ciel d’Alice Bohl. Un long métrage Tsitili ainsi que des séries ado-adultes sont également en cours de développement. Tous ces projets mettent à profit, cette fois-ci, les outils propriétaires des Films du Poisson Rouge.

« Nos outils nous permettent d’accompagner des projets différents, y compris dans la prise de risque. Ce cercle est vertueux pour tout le monde. » Chaque projet dès lors leur donne l’opportunité d’enrichir les logiciels et participe à rendre encore plus subtile la frontière entre 2D et 3D. Ainsi du long-métrage La Légende de Klaus entièrement animé en 2D traditionnelle, mais dont le traitement volumétrique de la lumière obtenu avec LAS le fait s’apparenter à de la 3D (lire plus loin). « Dans les trois jours qui ont suivi la diffusion de Klaus sur Netflix, nous avons eu 130 000 téléchargements sur notre site de la bande démo des outils », se félicite Catherine Estèves.

 

Vers la maîtrise du projet

Loin d’être considérés comme des secrets de fabrication, les outils des Films du Poisson Rouge sont régulièrement exposés lors des grandes manifestations de la profession (RADI 2017, Mifa 2019) même s’ils ne sont pas destinés à la vente ni à la location. « Si nous louions nos outils, nous les figerions dans une manière de travailler qui ne manquerait pas de s’aligner sur celle des autres éditeurs de logiciels. C’est alors que nous participerions à terme à la production de films formatés. Un outil comme LAS, qui travaille en temps réel, contribuerait certainement à la course à la rentabilité. Nous voulons garder la maîtrise de nos outils et les utiliser sur les films que nous avons envie de défendre. Même en prestation, nous préférons choisir le projet que nous allons accompagner. »

Aussi, le studio préfère-t-il parier sur le succès de ses productions ou prestations comme Klaus. « Depuis sa diffusion sur Netflix, plusieurs producteurs de séries (re)viennent vers nous et nous demandent de réfléchir avec eux à un procédé de fabrication. Ils semblent avoir compris l’intérêt qu’il y a de placer l’artistique au cœur du projet, et qu’il participe aussi à sa différenciation. »

Les Films du Poisson Rouge dans le sens du courant ? Si le projet Canaan semble s’être momentanément arrêté (sur la décision de son réalisateur Jan Bultheel), celui du Repenti produit par Dreamscape Movies et Moving Pictures, dont le pilote date de 2015, est reparti à la recherche de nouveaux financements. L’arrivée de plates-formes telles que Netflix n’est peut-être pas étrangère à ce regain d’intérêt.

« Les plates-formes vont bouger les lignes dans la production de l’animation en France », observe Catherine Estèves. « Même si nous disposons d’un système très régulé et protecteur via le CNC, celui-ci se montre parfois sclérosant. Il faut bien sûr se montrer vigilants au sujet de la propriété intellectuelle, mais l’essentiel est que le film trouve son public. Si Klaus était sorti en salle, il n’aurait certainement jamais suscité autant de vues. »

 

La légende de Klaus, le film de Noël de Netflix

Sorti à la veille des fêtes de fin d’année 2019, le long métrage La Légende de Klaus (au budget de 45 millions d’euros) réalisé par Sergio Pablos (SPA Studios) fait partie des productions phares de Netflix, et conjugue une histoire drôle et bien ficelée (un jeune facteur essaie de distribuer, outre son courrier, un peu de joie à des habitants grincheux) avec une forme qui semble avoir pris le meilleur de la 3D et de la 2D.

Optant dès le départ pour une animation 2D traditionnelle, mais qui serait « modelée par une lumière naturelle », Sergio Pablos se tourne vers les Films du Poisson Rouge pour obtenir ce rendu très spécifique. Si l’animation est donc effectuée par le studio espagnol (sur Toon Boom), tout le texturing des personnages est pris en charge par l’équipe angoumoisine sur MOE, qui avait déjà réalisé le pilote du long-métrage, tandis que le traitement et l’animation de la lumière ainsi que les ombres volumétriques sont créées avec l’outil LAS (light and shadow) dans le studio madrilène de SPA.

Au total, ce seront 1 400 plans qui seront traités entre janvier et septembre 2019 par les deux studios. Adapté au pipeline de Klaus (de nombreux shaders ont été intégrés), le logiciel LAS est devenu pour l’occasion KLAS.

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.70/72. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.