Un nouveau studio pour l’Orchestre national d’Ile-de-France

L’Orchestre national d’Ile-de-France vient de réaménager et de repenser entièrement ses locaux autour d’un studio flambant neuf conçu pour l’enregistrement de musique bien sûr, mais aussi pour la musique à l’image et l’action culturelle. Un outil ambitieux, high-tech, qui vient servir les besoins de l’orchestre, mais affiche également l’ambition de relocaliser en France l’ensemble de la filière musique à l’image. Visite des lieux juste avant l’inauguration officielle…
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Outre une refonte complète de l’acoustique des lieux, ce projet intègre un studio de mixage doté d’un monitoring multicanal Dolby Atmos et deux salles (335 et 104 m2) dont l’acoustique a été entièrement repensée tant pour l’enregistrement que les répétitions.

L’enregistrement et le mixage sont assurés par deux stations Avid Pro Tools et une station Pyramix, les trois stations étant contrôlées depuis une surface de mixage Avid S6. L’ensemble est architecturé autour d’un réseau Dante. Autre spécificité, le circuit de retour permet de gérer une centaine de casques pour l’audio, mais offre également la possibilité de diffuser des sources vidéo et informatiques.

Quelques jours avant l’inauguration par Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, et en présence du compositeur Gabriel Yared, parrain du studio, nous traversons donc le périphérique parisien, direction Alfortville pour une visite guidée en compagnie de Fabienne Voisin, directrice de l’Orchestre national d’Ile-de-France (communément appelé l’Ondif) ; Alexis Labat, administrateur ; Philippe Vaidie, chef de projet ingénierie, ainsi que l’équipe de CTM Solutions qui était en charge de cette installation…

 

 

Stopper l’évasion

« Au delà de pouvoir répondre aux besoins de l’orchestre, tant pour l’enregistrement de musique que pour aider l’action culturelle et fournir les outils pédagogiques pour les écoles dans lesquelles l’orchestre se produit, ce studio a pour objectif de participer à la relocalisation de l’enregistrement de musique à l’image en France et en territoire francilien », lance Fabienne Voisin.

La directrice de l’Ondif revient sur l’historique de cette aventure : « Il y a quatre ans, nous avons constaté que même si la Région était championne dans l’accueil du tournage de films [la région IDF accueille 50 % des films français, ainsi que 40 % des films étrangers tournés en France, ndlr], les bandes-son de ces films étaient très majoritairement enregistrées dans d’autres pays européens, par exemple l’Angleterre avec Abbey Road, la Belgique ou les pays de l’Est. Nous avons alors mené une enquête pour comprendre les causes de cette véritable évasion qui poussaient réalisateurs et ingénieurs du son à aller travailler ailleurs. Au final, parmi les principales raisons, figuraient le manque de lisibilité sur le coût des offres françaises, un soi-disant manque de motivation des orchestres permanents français et le manque d’offres adaptées en matière de studio… »

La première étape fut donc de mener en interne une négociation de façon à ce que « le prix proposé englobe exactement la même chose que ce qui est offert à l’étranger et que les productions puissent repartir du studio avec la bande-son et les droits d’exploitation pour le film ou un disque éventuel… ».

Mais rapidement, le besoin de créer un studio adapté se fait sentir : « Il manquait aux ingénieurs du son un vrai studio, agréable, fonctionnel, moderne, en phase avec les besoins actuels. Aujourd’hui, les productions peuvent faire appel à l’orchestre ou travailler avec des formations externes, le but étant d’attirer une clientèle extérieure, sachant que le petit studio est très souvent libre et peut fonctionner en autonomie. D’autre part, comme l’orchestre passe 80 % de son temps à l’extérieur, le grand studio est également disponible. »

 

 

Ingénierie et acoustique

Une fois le cahier des charges établi avec le concours des professionnels du secteur, l’un des points clés dans la réalisation du projet repose sur le travail d’ingénierie, réalisé ici par Philippe Vaidie, intervenant en tant que consultant, et Philippe Le Gourdiol, responsable technique Audio pour CTM Solutions. Outre le prénom, les deux hommes ont en commun un passage par le studio musique, respectivement Marcadet et Guillaume Tel, au début de leur carrière. Ils ont déjà collaboré ensemble et ont le souci permanent de mettre la technologie au service des différentes demandes.

Autre sous-ensemble important, le travail sur l’acoustique des deux salles et de la partie studio, effectué en pointillé en fonction de la disponibilité des lieux, explique Alexis Labat : « Il a fallu jongler entre les répétitions. Dès que l’orchestre partait jouer à l’extérieur, il fallait démonter les praticables et remonter les échafaudages pour poursuivre les travaux. L’ensemble a démarré en septembre 2017 et s’est échelonné sur près d’un an. La conception acoustique de la cabine et des salles a été réalisée par Florian Louineau. L’idée était de repenser la grande salle pour qu’elle devienne à la fois un outil de répétition, mais aussi un studio d’enregistrement. Aujourd’hui, tout le monde constate un progrès significatif par rapport l’acoustique d’avant qui donnait trop et où les timbres se mélangeaient. Le rendu n’était pas adapté au travail de l’orchestre, d’autant plus que beaucoup de salles de concert ont des acoustiques assez mates. Aujourd’hui, on entend tout, la richesse des timbres, le hautbois, la harpe… Le son est très beau dans la salle et dans la cabine de mixage aussi. On peut dire que l’objectif est atteint. »

Philippe Vaidie ajoute : « Le pari était de trouver le juste compromis entre la précision des timbres pour l’enregistrement, tout en permettant aux musiciens de jouer confortablement. D’autre part, il fallait que les deux salles soient cohérentes acoustiquement. L’enregistrement de la musique de Minuscule 2 [Minuscule 2 : Les Mandibules du bout du monde, film d’animation à paraître début 2019, réalisé par Thomas Szabo et Hélène Giraud, musique de Mathieu Lamboley, ndlr] nous a permis de vérifier que l’on pouvait parfaitement superposer le son d’une pièce par dessus le son de l’autre. La fusion se passe bien ; elles s’insèrent parfaitement l’une dans l’autre. »

 

 

Le hi-tech au service de l’artistique

Conforme à la tendance actuelle, la préamplification et la conversion s’effectuent au plus près de la source pour ensuite voyager en numérique : « Les racks de préamplis/convertisseurs DAD AX32 sont directement placés au pied de l’orchestre de façon à raccourcir les câbles analogiques », confirme Philippe Vaidie qui constate après quelques séances : « Les préamplis sont excellents, on retrouve parfaitement le grain de tous les instruments, notamment celui des cordes. Nous les avons montés en flight-case de façon à pouvoir enregistrer à l’extérieur ou sur des prestations live. »

Autre spécificité du studio, la présence de deux stations Avid Pro Tools et d’une station Pyramix : « Historiquement Pyramix est préféré dans la musique classique, mais dès qu’on aborde des domaines comme la musique de film et le travail à l’image, c’est Pro Tools qui emporte les suffrages. Le challenge consistait à faire en sorte que toutes ces stations puissent être vues et gérées par une même surface de contrôle et c’est le cas avec la surface de mixage Avid S6. »

L’installation est effectivement riche en interfaces audio de marques différentes choisies en fonction de leurs spécificités. Ainsi, la préamplification/conversion est confiée à trois DAD AX32 limités ici à 32 canaux de façon à pouvoir atteindre sans risque les fréquences d’échantillonnage élevées, communément exigées en musique classique.

La prudence est également de mise concernant le transport des données audio reposant à la fois sur le Madi et le Dante : « Les trois interfaces DAD sont reliées en Madi optique vers le nodal tandis que les flux qui partent du studio vers les musiciens sont acheminés en Dante afin d’éviter tout risque de surcharge de la bande-passante du réseau Dante. »

Parmi les points particulièrement aboutis de l’intégration technique, figure également le circuit de monitoring casque capable de gérer jusqu’à 104 casques depuis Avid Pro Tools ou le petit mixeur Soundcraft externe : « Il n’y a aucune coupure du réseau casque si je passe d’une session à une autre et les balances restent parfaitement conservées… ».

À la demande des concepteurs, nous n’en dévoilerons pas plus sur cette prouesse technique qui permet de garder le contact avec les musiciens et le chef en toute circonstance, garantissant une meilleure fluidité et un meilleur confort durant les séances. « L’ergonomie du studio repose également sur l’étude de la partie KVM que nous avons menée pour pouvoir commuter rapidement entre les trois stations », ajoute Philippe Le Gourdiol.

En effet, grâce aux accords signés entre le fabricant de switch IHSE et Avid, la console S6 est à même d’envoyer les informations de configuration KVM directement via IP. Les changements de configurations clavier/écran/souris sont donc rapides, souples et peuvent être initiés en appuyant sur une touche de la S6 ou même sur un fader qui affichera par exemple l’écran de la station concernée.

Notons enfin le monitoring vidéo conçu là encore pour fluidifier le déroulement des séances : « Nous avons fait en sorte que tout le monde puisse se voir depuis la petite ou la grande salle, mais aussi dans la régie, avec un monitoring permettant la constitution d’écrans mosaïques, le tout dans un minimum de latence. Les retours vidéo peuvent également afficher la time-line de Pro Tools, bien utile pour le chef d’orchestre qui peut ainsi vérifier l’avancement de la séance avec les numéros de mesures et les valeurs de tempo en concordance avec ses partitions. » Un progrès indéniable en attendant la prochaine étape où les partitions numériques défileront synchrones avec la station audio, supprimant ainsi les habituels bruits de tourner de pages…

 

 

Un premier bilan positif

Livré le 6 août dernier, le studio, après une période de rodage, voit aujourd’hui ses premières séances arriver. Notamment l’enregistrement de disques pour les labels Harmonia Mundi, Ad Vitam, NoMad Music ou encore Deutsche Grammophon/Universal avec l’orchestre, mais aussi des musiques de films. Outre la bande-son pour le film Minuscule 2 déjà évoquée, citons la BO de Mon Inconnue (réalisée par Hugo Gelin pour Hamburger Records) et celle de The Sonata (réalisée par Andrew Desmond, musique d’Alexis Maingaud), auxquelles il faudra ajouter de nombreux autres projets si l’on en croit l’intérêt des productions et réalisateurs constatés lors de l’inauguration du studio le 17 octobre dernier. De beaux projets en perspective et un pari en voie d’être gagné…

 

 

LES INTERVENANTS PRINCIPAUX

• Philippe Vaidie : chef de projet ingénierie.

• Florian Louineau (Coreway) : architecte acousticien et conception structure cabine et salles.

• Serge Arthus : consultant Dolby Atmos acoustique et technique.

• Domenica Vaugan : architecte décoratrice.

• Alix Ewald et Mireille Faure : ingénieures du son consultantes.

• Marc Prada : coordinateur du fonctionnement du studio.

• Philippe Le Gourdiol (CTM Solutions) : ingénierie audio et installation du studio.

 

 

L’ORCHESTRE NATIONAL D’ILE-DE-FRANCE : UN PROFIL UNIQUE

Composé de 95 musiciens permanents, l’Ondif n’est pas un orchestre symphonique tout à fait comme les autres : « Avec une centaine de concerts par an sur la région, l’orchestre est très impliqué dans l’action culturelle, et habitué à s’adapter aux scènes qui l’invitent », explique Fabienne Voisin.

Effectivement, entre la Philharmonie de Paris où l’orchestre est résident et donne sa saison parisienne, gymnases, théâtres, scènes municipales (et même dernièrement une ferme !), les lieux défilent mais ne se ressemblent pas.

Depuis les formations réduites de la musique de chambre à la musique symphonique nécessitant plus de cent musiciens, en passant par les petits formats regroupant une vingtaine d’instrumentistes, cet orchestre symphonique à géométrie variable a la capacité de s’adapter aux jauges et aux acoustiques des lieux d’accueil, le but étant de « partager sa passion en la plaçant à la portée de tous et de sensibiliser le public, notamment les enfants, de façon à ce qu’ils deviennent le plus possible sensibles à la musique classique. »

 

 

LISTE DES ÉQUIPEMENTS INTÉGRÉS ET INSTALLÉS PAR LES ÉQUIPES DE CTM AUDIO

• Trois stations numériques Pro Tools A – HDX 2, Pro Tools B – HDX 1, 1 Pyramix. Nombreux plugs-in pour Pro Tools et Pyramix (Waves, UAD, Altiverb, Izotope Noïse Maker).

• Surface de contrôle et préamplificateurs, une surface de contrôle Avid S6 – 24 faders, trois interfaces audio MTRX, 96 préamplificateurs Digital Audio Denmark, (DAD AX32) en 96 kHz/24 bits, deux réverbérations Bricasti (M7).

• Interface et système de processeurs audio multi-canal Trinnov MC MADI 18 canaux, interface audio de monitoring analogique et numérique Merging Horus.

• Écoute et formats ATC, Meyer Sound, formats 5.1 à 15.1.

• Monitoring LCR ATC SCM 50 Custom, Sub ATC, Surround et Atmos Meyer Sound.

• Casques : 100 casques Beyer Dynamic DT102, 20 casques Beyer Dynamic DT100, une console soundcraft SI Expression1 (console annexe pour balance casques spécifique).

• Vidéo : Projection vidéo HD, Écran transonore de 3 mètres de base, lecteur Blu-Ray Oppo 205, grille de distribution vidéo HD, distribution de la valeur de la mesure et du tempo sur écran pour chef et orchestre, caméras et retours vidéo disponibles pour les deux studios et la cabine.

• Microphonie Neumann, Microtech-Gefell, Wunder Audio, Telefunken, Sennheiser, Schoeps, DPA, Royer Labs, AEA, AKG, Electro-Voice, Shure.

• Supports micros et pieds supports Grace Design pour Decca tree et arbre Surround, deux grands pieds Manfrotto pour Decca tree et arbre Surround, deux grands pieds K et M, barres Grace Design de couples stéréo, autres pieds en nombre suffisant pour couvrir les besoins d’un orchestre symphonique d’une centaine de musiciens.

• Nodal, cœurs de réseau (entreprise, Dante, métiers), KVM IHSE, grilles vidéo Blackmagic Design, déports informatiques et écrans.

 

UN NOUVEAU SITE INTERNET POUR CTM AUDIO

CTM Audio, expert dans l’intégration de solutions pour la postproduction et les studios-son depuis plus de 30 ans, vient de lancer son nouveau site Internet (www.ctmgoup.fr/ctm-audio) entièrement dédié à l’audio pro. Vous y trouverez les dernières actualités concernant l’audio pro, ainsi que les promotions des différentes marques ; également, de nombreux guides d’achat, des offres produits et services et la présentation de plusieurs de ses installations.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.28/30. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.